Volume 25

Le professeur de criminologie à l'UdeM Carlo Morselli. (Crédit photo : Courtoisie Carlo Morselli)

Arsenal contre la corruption

Quartier Libre : À quel moment avez-vous commencé à travailler sur ce projet ?

Carlo Morselli : Il y a cinq ans, lors de la commission Charbonneau [NDLR : Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction]. À cette époque, j’avais pour mandat de faire une recension de la place du crime organisé dans les industries de la construction, mais c’était plutôt une faille dans le système qui permettait à certains de profiter des points vulnérables. Ensuite, une journaliste de la Gazette de Montréal, Linda Gyulai, a donné l’accès à toutes sortes de données publiques, d’appels d’offres et de contrats. J’ai regardé ces données et j’en ai conclu que je pouvais faire des analyses plus poussées. J’ai rendu ça à la commission Charbonneau, et certains étudiants sont venus travailler avec moi pour codifier les données. Finalement, ça n’a pas donné grand-chose à la commission, mais j’ai vu le potentiel et, durant l’été, j’ai fait une demande de financement au Conseil de recherches en sciences humaines pour poursuivre les travaux. Nous avons finalement eu 200 000 $ pour étudier le phénomène.

Q. L.: Avez-vous commencé par la Ville de Laval ?

C. M. : Non, Laval, c’était la thèse de l’étudiant au doctorat en criminologie Maxime Reeves-Latour. Il voulait travailler sur Laval parce que c’est un cas particulier où le pouvoir politique [à l’époque de l’administration Vaillancourt] était impliqué. Moi, je voulais m’intéresser à toutes les villes du Québec. On a envoyé des lettres à environ 200 villes, mais la plupart n’ont jamais répondu. D’autres nous ont carrément dit non. Certaines des municipalités ayant accepté au départ ont changé d’idée après avoir vu les chercheurs venir chez eux et faire des scans de documents, ce qui a réduit notre étude à 110 villes.

Q. L.: Quels sont les indicateurs sur lesquels vous vous basez pour déterminer la corruption et la collusion dans une municipalité ?

C. M. : Ce sont des indicateurs assez directs qui dépendent du domaine dans lequel l’entreprise s’implique. Il peut s’agir des aqueducs, des trottoirs ou de l’électricité. Nous regardons toutes les phases de la construction, la durée de vie de l’entreprise ou des consortiums, par exemple. Ensuite, nous fouillons dans la littérature sur les indicateurs économiques, comme les marges de profits, les parts de marché ou encore le taux de succès pour une entreprise qui soumissionne. Finalement, on analyse la structure de la compétition pour déterminer le réseau d’entreprises qui s’affrontent. Lorsque des compétiteurs sont proches ou se ressemblent trop, on commence déjà à avoir des soupçons.

Q. L.: Avez-vous travaillé avec des organisations gouvernementales comme l’Unité permanente anticorruption (UPAC) ou même l’Autorité des marchés financiers (AMF) ?

C. M. : Non, mais je suis prêt à travailler avec le Bureau de l’inspecteur général (BIG) à Montréal, par exemple. Par contre, Maxime a travaillé avec la Ville de Laval, et ce qu’on a fait avec le CICC, ce fut de lui donner une bourse pour faire un transfert de connaissances. Ça lui a permis de travailler avec le Bureau d’intégrité et d’éthique de la Ville (BIEL). Il a collaboré avec eux quelques mois et on a monté un rapport, en plus de leur montrer comment établir un système de surveillance efficace. C’est le seul cas où on a fait une contribution pratique jusqu’à maintenant, mais la prochaine phase du projet, c’est exactement ça. On travaille avec les villes qui veulent collaborer avec nous, puis nous mettons en place un cadre d’analyse pour surveiller l’octroi des contrats de la municipalité. Finalement, comme en criminologie, nous avons la plupart du temps un travail théorique et empirique. C’est très intéressant pour les étudiants de voir leurs idées en action.

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