Volume 24

Sur son blog, le professeur à l’Université d’Ottawa Pierre Levy explique comment et pourquoi il utilise les réseaux sociaux dans ses cours. Crédit photo : Pascaline David.

Apprendre en gazouillant

En partenariat avec la Chaire de recherche du Canada en écritures numériques de l’UdeM, le professeur de philosophie à l’Université de Pise en Italie Adriano Fabris a mis ses abonnés au défi de participer à un débat philosophique sur Twitter. « L’Internet et, plus globalement, les nouvelles technologies offrent un cadre au sein duquel de nouvelles formes de langage philosophique, correspondant à des contenus inédits, peuvent être exprimées de façon cohérente », indique M. Fabris. Le pari du projet est de se réapproprier la plateforme de manière critique et pédagogique.

« C’est clairement un cas de détournement de l’outil Twitter, croit le professeur et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en écritures numériques, Marcello Vitali-Rosati. Je pense que les étudiants pourraient avoir des usages de ce type-là, à la fois créatifs, ludiques et critiques, remettant en question la plateforme. »

Stimuler la réflexion

La réflexion est d’abord suscitée par l’espace limité dont dispose l’étudiant pour un gazouillis, selon le professeur au Département de communication de l’Université d’Ottawa Pierre Lévy. Celui-ci demande à ses étudiants d’utiliser les réseaux sociaux dans ses cours. « Vous devez aller droit au but, explique-t-il. L’étudiant est obligé de résumer mes propos, de changer de format et de chercher à savoir ce que j’ai réellement voulu dire. »

L’étudiante au baccalauréat en sciences sociales spécialisé en études des conflits et droits humains à l’Université d’Ottawa Marie-Ève Chartrand estime que le cours de M. Lévy l’a grandement aidée à améliorer sa capacité d’écoute et de concentration. « L’utilisation de Twitter m’a permis d’effectuer plus de liens avec la matière présentée en classe, témoigne-t-elle. Voir les tweets de mes collègues avec leurs idées, réactions et interprétations, m’a donné la chance de saisir les notions plus efficacement. »

M. Fabris estime de son côté qu’il n’est pas difficile d’écrire des pensées philosophiques courtes, car le coeur d’une argumentation doit être exposé brièvement. « Ce qui est plus difficile, c’est de développer ces argumentations, nuance-t-il. Dans cette expérience, l’argumentation est le résultat commun de beaucoup de tweets. » Sur les plateformes de microblogages* il est possible de répondre au premier gazouillis, d’apporter une contribution au discours collectif et d’en modifier ainsi la perspective.

Intelligence collective

Cette méthode 2.0 est également une manière de dépasser les frontières du carnet de notes individuel de l’étudiant, auquel le professeur n’a peu ou pas accès. « Ce qui m’intéresse est de créer une intelligence collective de la classe, poursuit M. Lévy. À la fin de chaque cours, on regarde tous ensemble les tweets issus de la séance. » Ce cahier de classe collectif, immortalisé par un mot-clic, permet aux étudiants de comparer leurs prises de notes à celle de leurs camarades, mais aussi d’ajouter des hyperliens pertinents et des images à la matière vue en classe. « Cela me permet d’avoir un retour, relate M. Lévy. Quand on est professeur, on ne sait pas toujours si un élève comprend ou pas. » Un aperçu en direct donc, qui incite les étudiants à poser des questions sous forme de gazouillis, lus pendant le cours.

Les étudiants ont le choix entre le cours en présentiel de Pierre Lévy et le même cours en ligne avec un autre professeur. « J’avais tenté de suivre ce cours une première fois uniquement en ligne, mais ça n’a vraiment pas été un succès, commente l’étudiante en psychologie et communication à l’Université d’Ottawa Morgan Oda. Je suis très reconnaissante envers M. Lévy et à son style d’enseignement révolutionnaire. » L’étudiante a davantage réussi à s’intéresser à la matière grâce à la méthode « Twitter ».

L’outil de distraction initial peut donc se transformer en une aide à la concentration et à la compréhension. « Gazouiller est une sorte de prise de notes qui oblige à réfléchir sur ce qui se dit, croit Marcello Vitali-Rosati. Cela crée une discussion parallèle à un évènement avec une communauté active, favorisant ainsi un approfondissement de la réflexion. »

Outre les bénéfices instantanés, la conversation numérique peut aussi représenter une trace a posteriori pour la recherche. « Pour les sciences de l’éducation ou la psychologie cognitive, cela permet d’avoir des données brutes non formatées par les questions des chercheurs », pense M. Lévy. De son côté Marcello Vitali-Rosati évoque l’intérêt d’inventer un usage différent de la plateforme que celui du grand public, parfois taxé de superficiel.

« Nous apprenons de nouvelles idées, nous apprenons à développer de nouvelles pensées, lance Adriano Fabris. Par-dessus tout, nous apprenons à interagir, car Internet est un véritable espace de relations. » Le professeur invite les étudiants à participer au débat en rejoignant son compte @exaiphnes ou le groupe de recherche en écritures numériques de l’UdeM.

* Les plateformes de microblogage permettent aux usagers de publier des messages très courts ou tweets destinés à informer les autres utilisateurs en un minimum de caractères. Twitter est le microblogue le plus connu, mais il en existe également d’autres comme Tumblr, identiti.ca, Jaiku ou Heello.

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