Apiculture urbaine : un rucher éducatif et collectif

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Par Paul Fontaine
dimanche 16 octobre 2022
Apiculture urbaine : un rucher éducatif et collectif
Le miel de l'UdeM contient une grande diversité de pollens en raison de la variété de fleurs présente sur et autour du campus. - Photo : Juliette Diallo
Le miel de l'UdeM contient une grande diversité de pollens en raison de la variété de fleurs présente sur et autour du campus. - Photo : Juliette Diallo
L’UdeM, qui possède six ruches, aromatise de miel quelques dizaines de barils de bière « ultralocale ». Or, en milieu urbain, l’élevage accru d’abeilles à miel, une espèce exotique, menace les pollinisateurs indigènes en accaparant les ressources nourricières, selon des expert·e·s. Compte tenu des faibles rendements, la mise de l’avant de « l’UdeMiel » relève-t-elle d’une forme d’écoblanchiment ?

Six ruches, une quarantaine de kilogrammes de miel récoltés cette année et 6 000 canettes de bière aromatisée à l’ambre gelée des butineuses. Les abeilles à miel logées sur le campus principal de l’Université de Montréal sont, depuis 2019, au cœur d’un programme d’alimentation ultralocale mené par les services alimentaires de l’UdeM, Local Local.

Le rucher, créé en 2011, est également un refuge pour cette espèce exotique, qui, malgré son déclin populationnel, s’impose de plus en plus à Montréal. Dans certains quartiers centraux, la multiplication de ruches urbaines menace les populations de pollinisateurs indigènes en leur imposant une forte compétition pour le pollen et le nectar.

En 2015, les professeurs en biologie de l’Université York à Toronto Scott MacIvor et Laurence Parker ont introduit le concept du bee-washing dans un article paru dans PLOS One : «l’écoblanchiment appliqué aux allégations potentiellement trompeuses d’augmentation des populations d’abeilles indigènes et sauvages» [Traduction libre].

En misant sur une apiculture urbaine à petit rendement et en publicisant cette initiative sous l’étiquette « ultralocale », l’UdeM pratique-t-elle une forme « d’apiblanchiment » ? Devrait-on, comme l’écrivait Réjean Ducharme à propos de Bérénice Einberg, l’héroïne de son roman L’Avalée des avalés, «réagir à une goutte de miel par une mer de fiel»?

Pour répondre à ces questions, Quartier Libre a rencontré deux spécialistes en apiculture, qui applaudissent la démarche de l’UdeM, notamment pour la vocation éducative de son rucher et pour la mutualisation du miel.

LE MIEL EN CHIFFRES

6 ruches sont installées sur le campus de l’UdeM

2011 : année d’installation des deux premières ruches à l’UdeM

3000 litres de bière sont aromatisés au miel de l’UdeM cette année

Un rucher éducatif

«L’apiculture urbaine, à la base, à l’Université de Montréal, c’est un outil d’éducation et de sensibilisation», précise le conseiller en biodiversité à l’Unité du développement durable de l’Université, Alexandre Beaudoin. Pour celui qui est également candidat au doctorat interdisciplinaire en aménagement à l’UdeM, la popularité dont jouit l’abeille à miel permet d’attirer l’attention du public sur les pollinisateurs indigènes.

«Les ruches de l’Université de Montréal, elles ont toutes cette vocation-là, souligne-t-il. Elles sont utilisées par les deux centres de la petite enfance [CPE] de l’UdeM pour faire des visites durant l’été : les enfants ont un contact avec les abeilles et ils goûtent le miel. Le camp de jour biodiversité de l’Université de Montréal s’en sert aussi.»

Loin de s’en tenir à l’éveil des plus jeunes pour les pollinisateurs indigènes, la mission éducative des ruches de l’UdeM s’adresse également aux citoyen·ne·s de tous horizons. «On fait aussi des visites à la pièce, souligne M. Beaudoin. Lorsque je fais des « découvertes faune et flore du mont Royal », je fais une halte aux ruches et ça me permet de parler de l’agapostemon, de la lasioglosse et de l’abeille cotonnière. Elles sont très belles, elles aussi!»

Cohabitation conflictuelle

M. Beaudoin se désole toutefois que le déclin populationnel des bourdons et autres abeilles indigènes soit méconnu du grand public. Au Québec, environ 350 espèces sont répertoriées et plusieurs «vont très mal en ce moment», indique le doctorant. Les effets combinés de nombreux facteurs expliquent leur disparition silencieuse : pratiques agricoles intensives, usage de pesticides, perte de la biodiversité, pollution atmosphérique, réchauffement climatique…

À cette liste s’ajoute un autre insecte : l’abeille à miel. Cette espèce exotique originaire d’Europe et de Russie représente pour les abeilles indigènes un compétiteur de taille dans la lutte pour les ressources nourricières. Alors que la plupart des espèces locales sont solitaires ou agrégatives – les essaims de 300 bourdons représentent les plus grosses colonies – les 60 000 à 70 000 abeilles à miel qui composent une ruche récoltent une large part du pollen et du nectar, explique le conseiller en biodiversité.

La multiplication des ruches sur l’île de Montréal, passant de 11 en 2011 à plus de 2000 aujourd’hui, fait craindre aux spécialistes l’atteinte d’un «point de saturation». La biologiste référente à la Coop Miel Montréal et étudiante à la maîtrise à l’Institut de recherche en biologie végétale, Anne-Marie Viau, est de cet avis. «On pense qu’il y a une saturation [de ruches], mais on manque d’études pour le prouver», avance-t-elle.

Selon l’étudiante, des signes avant-coureurs, tels que des vols de miel entre différentes colonies, indiquent que déjà certains quartiers s’approchent du point de saturation, comme ceux du Plateau-Mont-Royal, de Rosemont–La Petite-Patrie et du centre-ville, soit là où se concentrent la majeure partie des 2000 ruches de Montréal.

De la lavande, une plante mellifère très prisée des abeilles, a été installée à côté des ruches cette année. – Photo: Juliette Diallo

Soutenir les espèces indigènes

Est-ce que les six ruches situées entre les tours des résidences étudiantes du campus principal participent à ces phénomènes de saturation et de compétition envers les espèces indigènes ? «Même si ça demeure une démonstration pas évidente à faire, je peux dire un « non » assez affirmé là-dessus, lâche M. Beaudoin. En étant sur le mont Royal, nous pouvons nous permettre d’avoir des ruches. Il y a tout un milieu forestier et des aires ouvertes.»

Le conseiller en biodiversité précise que les jardins maraîchers des Projets éphémères, situés aux abords du campus MIL, sont aménagés afin d’accueillir des pollinisateurs industriels. «Nous avons plusieurs forêts nourricières et jardins mellifères sur le campus pour supporter nos abeilles», ajoute-t-il.

M. Beaudoin souligne également que des nichoirs à pollinisateurs indigènes sont installés sur le campus principal, soit à proximité du CPE du pavillon Claude-Champagne, de la forêt nourricière du métro Édouard-Montpetit et des résidences étudiantes. «Ce sont des mini prairies mellifères, des sites qu’on a identifiés pour accueillir uniquement des fleurs pour les pollinisateurs, explique-t-il. On y installe des nichoirs pour recevoir les pollinisateurs : des petites pailles de carton qui sont récupérées à l’hiver, entreposées dans des conditions optimales et réinstallées au printemps. C’est pour supporter des mini populations. »

40 kilogrammes de miel ont été récoltés au printemps et à l’été 2022. – Photo : Juliette Diallo

Mutualisation des ressources

En 2019, M. Beaudoin et le directeur de la division Résidences, hôtellerie et restauration de l’UdeM, Pascal Prouteau, ont décidé d’utiliser le miel produit sur le campus pour brasser une bière locale : Sur la montagne. «On s’est dit qu’avec une petite quantité, on peut rejoindre beaucoup plus de monde en mettant ça dans une bière qu’en vendant des pots de miel, poursuit le conseiller en biodiversité. L’idée, c’est de toucher et de conscientiser toujours plus de monde sur les enjeux du déclin des abeilles, de la pollinisation, du réchauffement climatique et de la production locale.»

Si les quantités de miel récoltées ne sont pas suffisantes pour satisfaire les besoins alimentaires de la communauté universitaire, le brassage de bières – 3000 litres de blonde et autant de blanche sont produits cette année – permet de «mutualiser les ressources», un choix salué par Mme Viau. «Je crois beaucoup aux ruchers collectifs et éducatifs, soutient-elle. Selon moi, s’il y a bien des ruches qui devraient rester sur l’île de Montréal, ce sont celles-ci.»