Amour impossible

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Par Antoine Quinty-Falardeau
vendredi 17 janvier 2014
Amour impossible
Flickr certains droits réservés, Creative Commons par astroemucho
Flickr certains droits réservés, Creative Commons par astroemucho

À chaque numéro, Quartier Libre offre la chance à l’un de ses journalistes d’écrire une nouvelle de 500 mots sur un thème imposé. Le thème de ce numéro est: espace

Chère toi, Je sais, je sais, je me souviens de tes mots. Ne plus se voir. Ne plus s’aimer. Ne plus même s’écrire.

S’oublier jusqu’à ce que le temps passe par là, que les souvenirs s’arrondissent, que la passion s’étiole. Et qu’une amitié puisse éclore… souveraine, indolore. Je sais, je me souviens.

On se souvient des prières.

Mais voilà, l’heure est plutôt grave : cette lettre est pour te dire adieu. Je me barre, je me tire, je m’éclipse pour toujours. Mes bagages sont déjà faits.

Je pars pour l’espace. Ce serait compliqué de tout bien t’expliquer.

Disons simplement que j’ai été approché, ce matin, pour devenir cosmonaute. Pourquoi s’être intéressé à un étudiant en philo qui habite chez sa mère ? Étonnant, je te l’accorde. Reste que l’appel est entré à onze heures, que l’entrevue était à midi.

Et qu’à midi douze, j’étais membre officiel de la prochaine expédition spatiale russe. Comme quoi la vie, parfois.

La fusée décolle demain, aux aurores. Notre mission sera de sonder l’intention des ficelles du destin ; ficelles qui, salopes à leurs heures, s’amusent souvent à bricoler des amours impossibles entre deux êtres humains. En conséquence, nous tenterons d’analyser le gaz moléculaire aux alentour s des Nuages de Magellan. Paraît que nous n’en reviendrons pas.

Entre les branches, on parle d’une mission improvisée, mise sur pied après que le président de l’Agence spatiale fédérale russe, monsieur Titov, ait vécu un énième amour éphémère, inutile et cruel (cette fois avec une jeune étudiante luxembourgeoise détentrice d’un visa soviétique de court séjour). «Il faut qu’il y ait une mauvaise foi sidérale là-dessous ! », qu’aurait gueulé le bougre en faisant des adieux éplorés à l’ingénue.

À une autre époque, on aurait accusé Éros ou Aphrodite, Vénus ou Cupidon. Les temps changent drôlement.

Dès le lendemain, les Nuages de Magellan ont été identifiés comme principaux suspects. Après, voilà : les Russes ont capté la nature de ma peine via leurs satellites, et le téléphone a sonné. Titov me voulait.

La main sur le stylo, les yeux sur le contrat et le coeur dévasté, j’ai repensé à ce que tu m’as dit, hier soir, alors que nos corps se séparaient. «Pas envie qu’on s’attache pour rien. Moi, je ne rajeunirai pas : les années s’écoulent toujours en ordre croissant… Et toi, tu ne vieilliras jamais plus vite que moi… Alors ? Tu te vois avoir un enfant dans deux ans ? Tu te vois venir vivre chez moi, en France ? C’est comme ça. Il faut s’efforcer d’accepter le destin. Et puis j’en ai marre de tes conneries, tu sais ? Marre de tes fictions merdiques, de tes solutions à la con!»

C’est pour toi que j’ai signé. C’est pour toi que je m’envole. Comme un désir de te prouver que je n’entends plus déconner. Adieu, ma comète.

Ton sourire, tes larmes ; tout toi me manquera.

N’empêche, j’ai pensé à une connerie tout à l’heure : on se fout de nos âges, on se crisse des frontières et on emmerde le destin. Si ça te va, je veux bien rater ma fusée, et je ne dirais pas non à un cinéma mercredi soir. En plus, on annonce de la pluie.