Une aide de 150 M$ est promise au secteur culturel afin de l’aider à prendre le virage numérique, dans le budget du gouvernement québécois déposé le 20 février dernier. Même si ce budget risque fort de ne pas tenir, pour raison d’élections, l’idée est intéressante.
Toutefois, il sera important de voir quelle stratégie sera adoptée par le ministère de la Culture et des Communications pour aider les entreprises culturelles à s’adapter à l’ère numérique. Sur ce plan, le Québec a déjà un retard flagrant par rapport à son voisin américain. Dans le monde télévisuel et cinématographique, Netflix s’étend de manière exponentielle au Canada et même chez les francophones, 5 % d’entre eux étant abonnés à ce service à l’automne, selon l’Observatoire des technologies médias. Ce chiffre monte même à 10 % chez les Québécois de 18 à 34 ans, malgré le faible choix en téléséries francophones. Personne ne semble pouvoir arrêter le géant américain.
Pourtant, les initiatives ne manquent pas, comme le prouve le projet de l’Office national du film du Canada (ONF) et du cinéma Excentris, de mettre en ligne des films de répertoire pour un coût moins élevé que celui payé en salle (p. 18). Si ce projet permet de voir des films de répertoire aux cinéphiles qui vivent hors des grands centres, il permet aussi de visionner chez soi des films qui souvent ne restent en salle que pour une très courte période.
C’est un projet qui a une visée louable, mais qui risque de se buter à une courte portée. Ce qui fait la force de Netflix par rapport à tou.tv, illico.tv ou d’autres services du genre, c’est sa vaste programmation pour un montant forfaitaire. Du fait que Radio-Canada et Québécor soient eux-mêmes les diffuseurs originaux de séries, ils priorisent leurs propres productions. Ainsi, il faut se nourrir à plusieurs sources pour être en mesure de regarder des séries de plusieurs chaînes sur demande.
la télé est-elle morte?
Tous veulent regarder les séries quand bon leur semble, particulièrement les 18-34 ans. Ils ne peuvent suivre à chaque semaine au même horaire une télésérie. C’est pour cette raison qu’un service internet est plus pratique qu’un abonnement à la télévision par câble.
Lors des Jeux olympiques (JO) de Sotchi qui viennent de se terminer, nous avons d’ailleurs constaté qu’il était, pour beaucoup d’entre nous, plus agréable de suivre ces jeux « à la carte » sur le web plutôt que d’être soumis aux allers-retours constants entre disciplines que nous impose Ici Radio- Canada Télé ou TVA Sports.
Si ce phénomène n’est pas nouveau, les JO m’ont fait réaliser à quel point notre rapport à la télévision a évolué à cause d’internet. Ainsi, il est fort peu probable de voir la jeune génération redevenir esclave des horaires télévisuels après avoir goûté à la liberté que procurent les séries et les films sur demande.
Une plateforme centrale
Toutefois, comment assurer les revenus de ceux qui travaillent dans ces industries? Si l’on force à payer, l’option gratuite est presque toujours disponible et si l’on met plus de publicités, les logiciels antipubs se développeront encore plus.
C’est ici que le gouvernement peut agir avec sa stratégie de virage numérique du secteur culturel. Dans le milieu de la musique, la tendance semble être à réduire les intermédiaires. Des sites tels que Bandcamp permettent aux artistes de vendre leurs albums au prix qu’ils le souhaitent, directement au consommateur. Le site web prend 15% du coût de la vente. Plusieurs étiquettes de disques sont aussi présentes sur Bandcamp et adhèrent à ce système car il permet une distribution de grande envergure.
Le Québec devrait-il ainsi financer la mise en place d’une plateforme construite sur ce modèle pour le contenu télévisuel et cinématographique? On pourrait créer un site internet qui permettrait tant aux créateurs qu’aux distributeurs de contenu de mettre en ligne des séries, des films ou des émissions de télé faites au Québec.
Dans les grands axes de la politique exprimés dans le budget Marceau, on explique que l’argent doit servir à accroître « la disponibilité, la facilité d’accès et la visibilité des contenus québécois ».
Un service fonctionnant par abonnement et offrant exclusivement du contenu québécois permettrait aux créateurs d’ici d’avoir plus de visibilité et leur offrirait une plateforme viable pour des formats moins adaptés aux normes des distributeurs. Les webséries et les courts-métrages auraient la possibilité d’avoir des revenus.
Il ne faut pas oublier que dans le virage numérique, si la voix des distributeurs et des grandes compagnies de disque s’est souvent faite entendre, c’est d’abord les revenus des artistes qu’il faut viser à protéger et à augmenter, et non seulement réduire les pertes de publicités de TVA, Télé- Québec ou Ici Radio-Canada.