Qui sont les «Oubliés de Buffalo» ? Près de 10210 candidats à la résidence permanente canadienne, à bout de nerfs. Parmi eux se trouvent des étudiants installés au Québec et des jeunes professionnels détenteurs de permis temporaires. Ils sont sans nouvelles de leurs dossiers depuis que ceux-ci ont été transférés de Buffalo, aux États-Unis, vers un centre de traitement pilote à Ottawa en juillet dernier.
La comédienne québécoise Michèle Dorion est la porte-parole des Oubliés. Elle connait bien leur situation puisque son conjoint d’origine française a été l’un d’entre eux. Il vient tout juste de recevoir sa confirmation de résidence permanente.«“Les Oubliés de Buffalo”, ce sont dix mille personnes qui sont traitées de façon irrespectueuse par le ministre de la Citoyenneté, de l’Immigration et du Multiculturalisme (MCIM), Jason Kenney, explique-t-elle. Des gens se retrouvent dans des situations très délicates. Ils n’ont plus le droit de travailler, car ils n’ont plus qu’un visa de touriste.»
Salima (nom fictif), rejointe par téléphone à Casablanca, au Maroc, est arrivée à Montréal en janvier 2008 pour compléter un DESS en marketing électronique à HEC Montréal. Elle travaille en parallèle pour la chaire de recherche en électronique de l’École. Généreuse de son temps, elle s’implique bénévolement au centre communautaire de loisirs de la Côte-des-Neiges. Une fois son DESS en poche en décembre 2010, elle ne tarde pas à trouver un premier emploi dans sa branche.
Passée l’étape du certificat de sélection du Québec (voir encadré), elle dépose son dossier de résidence permanente à Buffalo en décembre 2010. Quatre mois plus tard, son dossier n’ayant toujours pas été traité par un agent, le couperet tombe. «Mon visa de travail n’était plus valide, j’ai dû quitter mon emploi, mes amis, mon réseau pour retourner vivre chez mes parents à Casablanca, au Maroc, confie-t-elle. Cela a été difficile.»
Soutien moral
« Les Oubliés de Buffalo » ont créé leur page Facebook en octobre dernier. Elle permet à ses 790 abonnés de partager inquiétudes, espoirs, et modestes victoires. Tous attendent leur résidence permanente, véritable sésame qui leur permettra de reprendre une vie normale au Canada. Parmi eux, Jacques (nom fictif), installé à Montréal depuis 2008, est un ancien étudiant à l’École Polytechnique. Son visa de travail a expiré il y a un mois, il n’a plus le droit de travailler et survit grâce aux virements mensuels de ses parents. Il a pourtant déposé sa demande de résidence permanente en mai 2011.
Frondeuse, Mme Dorion fera entendre leurs voix haut et fort, le 29 janvier prochain, lors d’une conférence de presse sur la colline du Parlement à Ottawa, aux côtés des porte-paroles du Nouveau Parti démocratique (NPD) en matière d’immigration, Sadia Groguhé et Jinny Sims. Deux revendications majeures seront à l’ordre du jour : suspendre le traitement des nouveaux dossiers à Ottawa pour que ceux des Oubliés soient traités en priorité, ou encore, leur permettre de travailler, en leur accordant un visa de travailleur temporaire. Mme Dorion espère qu’ils seront entendus mais, jusqu’à présent, ses contacts avec le MCIM ont été quasi inexistants, malgré ses tentatives.
Coûts psychologiques et financiers
Le porte-parole de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) Rémi Larivière soutient que le traitement des dossiers se poursuit et que la plupart d’entre eux seront complétés d’ici à la fin de l’été 2013. « Pour la majorité des catégories d’immigration, les nouvelles demandes soumises à Ottawa seront traitées plus rapidement qu’elles ne l’étaient à Buffalo, assure-t-il. Par exemple, le délai de traitement pour les nouveaux dossiers pour les travailleurs qualifiés du Québec est de neuf mois, ce qui est plus rapide que le délai de traitement à pareille date l’an dernier pour les demandes du bureau des visas de Buffalo, qui était de 15 mois.»
Selon Michèle Dorion, des délais plus courts s’appliquent en effet pour ceux qui ont envoyé leurs dossiers récemment. « Les nouveaux dossiers continuent donc d’être traités dans des délais tout à fait acceptables, mais les 10 000 dossiers des Oubliés dorment dans une boite, personne n’y touche, personne ne s’en soucie », soutient- elle.
Le coût de cette attente n’est pas seulement psychologique. «Les Oubliés ont payé des sommes importantes pour obtenir leur résidence permanente – 550 $ en frais d’admission, 320 $ pour une visite médicale obligatoire, explique Mme Dorion. Pour beaucoup d’entre eux, cette visite médicale n’est plus valide après un an. Le gouvernement leur rétorque : “Vous n’avez qu’à la repasser.”» Un constat que confirme Mme Groguhé. «Je connais des gens qui ont dû repartir parce que financièrement, ils n’arrivaient pas à tenir le coup; sans compter que les gens s’endettent puisqu’il faut bien continuer à vivre, s’indigne- t-elle. Toutes ces conséquences, le ministre Jason Kenney en est responsable. Nous souhaitons que le ministre se décide à élaborer un plan d’ensemble, plutôt que faire de la gestion au cas par cas.»
Aux dernières nouvelles, le centre de traitement d’Ottawa vérifiait toujours les antécédents judiciaires de Salima, ultime étape avant de recevoir sa confirmation de résidence permanente. « Est-ce qu’Immigration Canada va refuser ma demande, l’accepter ? se questionne- t-elle, découragée. Chaque matin, je me dis que ce sera peut-être pour aujourd’hui. Ma vie est en suspens depuis un an et demi.» L’automne dernier, elle s’est trouvé un nouvel emploi à Montréal depuis sa résidence casablancaise. Son futur employeur s’est engagé à l’attendre jusqu’en février. Passé ce délai, il devra embaucher quelqu’un d’autre.
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LEXIQUE DE L’IMMIGRATION
Résidence permanente Le visa de résident permanent, renouvelable tous les cinq ans, permet à un immigrant de vivre, de travailler et de bénéficier des avantages sociaux du Canada. La résidence permanente est l’étape préliminaire à la citoyenneté canadienne.
Certificat de sélection du Québec (CSQ) Le Québec, comme les autres provinces canadiennes, peut sélectionner ses immigrants en fonction de ses besoins. Le ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles délivre le CSQ, un document qui confirme la sélection d’un candidat à l’immigration souhaitant s’établir de façon permanente au Québec.
Centre de traitement de Buffalo Les demandes de visa de résident permanent présentées depuis le Canada par des candidats qui ont un statut valide (étudiants ou travailleurs étrangers temporaires) étaient, jusqu’en avril dernier, traitées au centre de Buffalo, aux États-Unis. Le 29 mai 2012, celui-ci a fermé suite à des coupures budgétaires. Les dossiers sont désormais étudiés à Ottawa.
* Article modifié le 16 janvier