Cubes rouges, sérigraphies, chansons engagées : l’art était partout lors des manifestations du printemps dernier. Six mois plus tard, que reste-t-il de ces productions culturelles? Il est encore trop tôt pour le savoir, mais chose certaine, ces oeuvres peuvent difficilement être sorties de leur contexte.
Durant le printemps érable, les étudiants du collectif d’arts visuels Archicontre ont confectionné divers objets comme les grands cubes rouges symbolisant le point de la hausse des frais de scolarité ou encore les boucliers rouges. Ce collectif s’est formé à la mi-février à la suite de l’assemblée générale de position de grève pour les étudiants en architecture de l’UdeM. «L’une des règles de base était de participer à la grève tout en mettant en application ce que l’on apprend en architecture, explique l’un des initiateurs d’Archicontre, Martin Tanguay. On proposait un objet design, artistique avec un sens, dans le but de mobiliser, de motiver, mais aussi d’inspirer les étudiants.»
C’est également ce qui a motivé l’administrateur du site internet hiphopfranco.com, Samuel Daigle-Garneau, à créer une compilation hip-hop. Paru en mai dernier, Printemps Érable traite des enjeux de la grève et d’autres sujets sociaux, et regroupe plusieurs rappeurs comme Jeune Chilly Chill, Webster et Monk.E. Le projet mixé par DJ Horg s’est fait de manière bénévole. «J’ai eu l’idée de faire la compilation contre la hausse, car généralement je trouvais que les slogans dans les manifestations étaient assez bidons, avoue M. Daigle-Garneau. Je me suis dit que si c’était des rappeurs qui les faisaient, ça serait beaucoup mieux.»
Dans ces deux cas d’art engagé, l’effet escompté n’était pas seulement la mobilisation. « L’art donne une forme à la revendication, explique la professeure au Département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques de l’UdeM, Louise Vigneault. Elle donne des modèles, des repères et elle permet ainsi de concrétiser les démarches et les idéologies.»
L’art créé dans le contexte de la grève est une façon de rendre plus sympathique le mouvement, affirme la spécialiste de la diffusion des arts à l’UdeM, Suzanne Paquet. «L’aspect créatif, même dans la mythologie populaire, va tout à fait à l’encontre de cette idée de violence et d’agressivité qu’ont essayé de faire ressortir la plupart des médias», explique-t-elle.
Archicontre avait donc pour but de contrebalancer la tendance médiatique lors des évènements du printemps érable. « Pour ceux qui avaient les oreilles sensibles et les yeux ouverts, on avait un effet positif sur le mouvement », croit M. Tanguay.
Selon lui, la créativité de son collectif nourrissait les grévistes. « Ils étaient fiers de marcher à nos côtés, car on avait une image collective et créative. Sans cette créativité- là, on n’aurait pas réussi à mobiliser autant de gens.» L’instigateur de la compilation Printemps Érable est de cet avis. «La musique est une raison de plus pour se rassembler », dit-il.
«L’art crée un sentiment de communauté, ajoute Mme Paquet. L’idée de la solidarité se renforce puisqu’on reconnaît le même objet culturel et on se rassemble autour de celui-ci.»
L’avenir des créations
La grève étant désormais finie, la question sur l’avenir des créations d’Archicontre est incertaine. «C’est un peu un casse-tête en ce moment, confie M. Tanguay. Certaines oeuvres sont entreposées à la Faculté d’aménagement, à la Maison des métiers d’art du Québec ou encore dans les fonds de placard des uns et des autres.»
Bien que certaines oeuvres aient pour but d’être « éphémères », Archicontre compte envoyer des créations au Centre canadien d’architecture (CCA) pour une exposition portant sur la définition de Montréal comme ville. «Ce qui est sûr c’est que, dans un avenir proche, elles auront une deuxième vie. Pour le futur, on ne sait pas trop», explique M. Tanguay.
Samuel Daigle-Garneau croit qu’on ne peut pas enlever la compilation Printemps Érable de son contexte. «Cependant, elle est beaucoup plus large que seulement la hausse des frais de scolarité, nuance-t-il. Je pense donc que même maintenant, certains morceaux qui parlent de la brutalité policière, par exemple, peuvent encore toucher.»
Mme Vigneault s’interroge sur la pérennité des oeuvres du mouvement étudiant. «Certaines passeront le test, d’autres pas. On ne peut pas le savoir à l’avance », dit-elle.
Suzanne Paquet croit que toutes les oeuvres – engagées ou pas – devraient rester éphémères. «Il faut que ça reste des mémoires de mouvement, et non des objets qui auront un destin autre que celui pour lequel ils ont été créés initialement.»