Trois mois après la fin du plus long conflit étudiant qu’a connu le Québec, des questions restent toujours en suspens. Retour sur l’ampleur du conflit, son impact sur l’opinion publique et ses effets à plus long terme.
Le conflit était-il prévisible?
Si les manifestions les plus visibles de la grève étudiante ont commencé début 2012, la température s’est mise à grimper dès le printemps 2011. «Lors de mon orientation au mois de mai, on me disait que l’automne allait être chaud et l’hiver encore plus chaud, raconte Jean-François Gingras, étudiant en histoire à l’UQAM et membre actif de Génération d’idées, un rassemblement de jeunes de la génération Y. On pouvait prévoir l’ampleur du mouvement. Les étudiants étaient déterminés à faire valoir leurs points de vue». Pour celui qui est aussi planificateur d’effectifs aux Caisses Desjardins, le contexte était favorable aux étudiants. «Depuis deux ans et demi, on parlait d’allégations de corruption, de préoccupations environnementales et de difficultés économiques révélées par le mouvement Occupy», explique-t-il.
Toutefois, même la présidente de la Fédération étudiante universitaire du Québec, Martine Desjardins, ne s’attendait pas à une mobilisation aussi intense au printemps dernier. «Nous tenions toujours compte du scénario catastrophe de la rentrée en classe des étudiants. Il y a eu un moment où nous perdions 30000 étudiants par semaine. Mais la déclaration de Jean Charest sur le Plan Nord, le projet de loi 78 et les casseroles ont maintenu la motivation», soutient-elle .
Les étudiants ont-ils réussi à convaincre l’opinion publique ?
Pour le président de la firme de sondages d’opinion Léger Marketing, Jean-Marc Léger, les étudiants n’ont pas su gagner l’appui de l’opinion publique. « Le 23 février, 48 % de la population québécoise appuyait le gouvernement et 44 % la cause étudiante, assuret- il. Le 16 juin, 56 % des Québécois soutenaient le gouvernement alors que seulement 35 % d’entre eux se prononçaient en faveur des étudiants ». Cette réaction de l’opinion publique serait le résultat du radicalisme d’une minorité des étudiants selon le sondeur. « Les gauchistes extrêmes ont pris le contrôle du mouvement et la population a eu peur », souligne-t-il .
Quelle est la Portée du « printemps érable » à long terme ?
À défaut d’avoir suscité l’adhésion de la majorité de l’opinion publique, le « printemps érable» aura-t-il eu un impact sur la politisation des jeunes autres que Léo Bureau-Blouin et Gabriel Nadeau-Dubois, le premier étant entré en politique et le second, en syndicalisme ? «Je souhaite que le conflit étudiant ait contribué à introduire toute une nouvelle génération à la politique. J’aimerais vraiment que les étudiants s’impliquent dans les affaires publiques», dit M. Gingras. M. Léger est quant à lui plus catégorique. «Les effets à long terme de la grève étudiante sont fantastiques. On croyait que les étudiants étaient désintéressés des questions politiques, alors que les jeunes sont enfin politisés et ils s’impliquent, s’enthousiasme M. Léger. C’est vraiment quelque chose d’extraordinaire. On attendait le retour des jeunes depuis trente ans.»
L’impact de la victoire des étudiants sur leur politisation et leur conscientisation sera durable selon le professeur de sociologie à l’Université Laval, Olivier Clain. «Pour les 17 à 30 ans, la génération qui a participé à ce mouvement, je crois que leur expérience va les marquer tout au long de leur vie, affirme celui qui a donné cette session d’automne un cours sur les évènements du printemps 2012. Même pour ceux qui n’ont pas participé au mouvement étudiant et pour ceux qui s’y sont opposés, ils seront aussi marqués par les évènements pour des décennies».
Selon M. Clain, le conflit étudiant aura eu aussi comme conséquence de provoquer une réflexion sur de multiples enjeux. «Par exemple, nous avons également réfléchi à la couverture anglo-canadienne de la grève étudiante, au Plan Nord et à la démographie québécoise» explique-t-il. Une réflexion variée mais peu approfondie selon Martine Desjardins, qui trouve le débat actuel sur l’éducation trop superficiel. «Il n’y a rien de concret dans les discussions, on ne fait que parler de financement», met-elle en garde.
Le droit de grève pour les étudiants, un autre héritage du « printemps érable » ?
Selon le professeur d’histoire à l’UdeM et spécialiste du syndicalisme, Jacques Rouillard, l’impact le plus important du conflit étudiant est la mise à l’ordre du jour de l’enjeu juridique du droit de grève étudiant. Il dessine un parallèle entre le mouvement des travailleurs et celui des étudiants. «Même s’ils ne sont pas identiques, ils ont tous les deux évolué dans des contextes similaires», estime- t-il.
Le syndicalisme a été légalisé en 1872, mais il a fallu de nombreuses grèves, parfois violentes, avant de voir adopter en 1977, sous René Lévesque, la loi anti-briseurs de grève. Une histoire dont s’inspire celle du syndicalisme étudiant. « En 1983, le gouvernement René Lévesque a reconnu les perceptions à la source des cotisations des étudiants par les associations étudiantes [comme c’est le cas pour les syndicats de travailleurs depuis la formule Rand instaurée dans le Code du travail en 1977]. Le mouvement étudiant de 2012 devra mener à une plus grande reconnaissance du pouvoir des étudiants», pense M. Rouillard.
Comme au tournant du 20e siècle, alors que la reconnaissance du droit de grève pour les travailleurs était contestée, la reconnaissance de ce droit chez les étudiants demeure un enjeu complexe et controversé. Mais, le ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie, Pierre Duchesne, a mis l’enjeu à l’ordre du jour le 14 novembre dernier. Une bonne idée pour M. Rouillard. «Reconnaître le droit de grève mettra fin au flou juridique et servira à éviter la violence venant du mouvement étudiant », observe-t-il.