À 82 ans, Jacques Parizeau reste une personnalité inspirante pour les jeunes générations. Le succès remporté par la conférence qu’il a donnée le 17 octobre dernier à l’UdeM en témoigne. Devant un amphithéâtre bondé, il a plaidé, avec enthousiasme et réalisme, pour un retour du désir de réaliser l’indépendance du Québec.
Sa voix est parfois chevrotante, et il se déplace avec une canne. Sa capacité à convaincre et à charmer un auditoire reste toutefois intacte. L’ancien premier ministre péquiste et ardent défenseur de la souveraineté, Jacques Parizeau, a livré un discours qui a marqué la plupart des 650 personnes présentes. L’émotion était palpable du côté des étudiants, mais aussi du côté de M. Parizeau.
«Quand j’étais ministre et chef du gouvernement, je venais chaque année, au mois de septembre, dans cette même salle. Et cela me fait chaud au coeur de me retrouver à nouveau devant les étudiants plusieurs années après », a confié au Quartier Libre, un M. Parizeau ému par les applaudissements du public .
Pendant un peu plus d’une heure, il a su parler avec pédagogie de La souveraineté, aujourd’hui, le thème de la conférence. L’ancien professeur d’économie à HEC Montréal a notamment exposé les obstacles qui se dressent sur la route des souverainistes, et qu’«on ne doit pas balayer du revers de la main». Premier obstacle selon lui, la péréquation. Il considère essentiel de réactualiser, tous les deux ou trois ans, les études faites à ce sujet. « Selon le moment choisi, [les chiffres montrent qu’] on peut être en surplus ou en déficit, mais c’est gérable», croit-il .
Autre barrière à lever: l’idée que le Québec ne peut se payer l’indépendance, une idée fausse selon l’ancien économiste. «C’est une gigantesque supercherie. On fait peur au monde, dénonce-t-il. Le Québec est le seul gouvernement au Canada qui utilise la dette brute comme indication du niveau d’alerte alors que les autres provinces appliquent le concept de dette nette, [qui tient compte des actifs].»
L’obstacle le plus réel à ses yeux est le déficit de la balance des comptes courants qui traduit un manque de compétitivité du Québec .«Quelque chose de dramatique est en train de se produire, quelque chose qui demande une politique économique énergique, avertit- il. Le Plan Nord n’est pas suffisant. Faire des trous dans le Nord est utile, mais pas suffisant.» Il estime qu’il faudrait améliorer la productivité et l’innovation des entreprises québécoises .
Préparer le référendum
Ces obstacles doivent être étudiés pour M. Parizeau. Et selon lui, un gouvernement minoritaire est une « occasion extraordinaire » d’avoir accès à des études pour préparer le référendum. «Cela peut prendre des années, alors commençons maintenant, mettons-nous au travail», a appelé celui pour qui la souveraineté reste l’aptitude de « nous prendre en main et d’être responsable de nous-mêmes ». Pour parvenir à cette indépendance, il croit que le débat porte trop sur les modes d’accès à la souveraineté et les stratégies à adopter. «L’important est que l’on revienne au désir de réaliser l’indépendance du Québec», a déclaré M. Parizeau. Il souhaite voir se développer une réflexion sur le type de régime qu’un Québec souverain adopterait .
Interrogé par un étudiant sur la portée du « printemps érable » sur le mouvement souverainiste, l’ancien premier ministre a estimé que « la relève est en train de rentrer par toutes sortes de portes ». Il a également indiqué que « ce que les jeunes ont fait va marquer la société québécoise de manière définitive. C’est étonnant, révolutionnaire ». Puis, il a invité les jeunes à occuper les hiérarchies des organisations. « Infiltrez-vous ! » leur a-t-il lancé en guise de mot d’ordre .
Un message bien reçu lorsque l’on constate l’ovation reçue par M. Parizeau lorsqu’il a quitté l’estrade et les réactions des étudiants à la sortie de la conférence. «J’admire sa personnalité », déclare Maryssa Hanna, étudiante en francisation. «Je n’ai pas de mots, raconte Ariane Belva, étudiante en science politique à l’UQAM. C’était tellement incroyable, inspirant. J’espère que [cette conférence] va en réveiller certains».
Un enthousiasme partagé par Étienne Boily, lui aussi étudiant en science politique à l’UQAM, qui dit qu’il se souviendra de ce moment « pour le reste de ses jours ». M. Parizeau, « c’est le mouvement souverainiste à lui tout seul, ajoute-t-il. Sa façon d’aborder la question de la souveraineté devrait être la norme, c’est-à-dire qu’on ne devrait pas avoir des discussions de taverne où l’on se critique en se passant d’arguments, mais des discussions de fond, des débats d’idées» .
Des représentants du milieu souverainiste étaient également présents, dont le chef d’Option nationale, Jean-Martin Aussant.« C’est une chance que nous avons eue aujourd’hui, car des gens de cette stature, il n’ y en a pas beaucoup au Québec. M. Parizeau est de loin l’un des plus grands sages au Québec, se félicite-t-il. On qualifie souvent la souveraineté de débat d’une autre génération. Cette conférence a prouvé que c’est faux. La souveraineté est très d’actualité, et les jeunes s’y intéressent.»
Le professeur de droit de l’UdeM et ex-député péquiste, Daniel Turp, est lui aussi content du succès remporté par M. Parizeau auprès des étudiants. « Il est l’homme politique qui attire le plus les jeunes, ce qui est quand même assez exceptionnel. Aucune autre personnalité politique au Québec n’a un tel pouvoir d’attraction.» Il se réjouit également de voir les jeunes apprécier autant «un pédagogue qui fait de la politique en se basant sur le contenu, et non un politicien qui cherche à être populaire en étant un bon communicateur». À noter : la présence surprenante de la chanteuse Lynda Lemay, qui semble elle aussi être une admiratrice de M. Parizeau.
Le Mouvement des étudiants souverainistes de l’UdeM (MESUM) avait donc choisi un ambassadeur de choix pour discuter de souveraineté avec les étudiants. Au départ, le président du MESUM, Julien Bergeron, avait demandé à M. Parizeau de venir parler d’économie et de Robert Bourassa. «Mais il voulait s’exprimer sur la façon dont la souveraineté est gérée, est préparée, raconte M. Bergeron. Il m’a dit : “Je veux parler en tant que militant”.» Militant un jour, militant toujours .
