Campus

Émigrer d’un pays qui souffre implique d’avancer, parfois le cœur lourd et les yeux rivés sur celles et ceux qui y habitent encore. Illustration I Mathilde Segar

ÉTUDIER LOIN DE CHEZ SOI QUAND C’EST LE CHAOS À LA MAISON

Être étudiant·e international·e signifie souvent avoir les pieds ancrés au Québec et le cœur ailleurs. La situation est d’autant plus difficile pour ceux et celles dont le pays d’origine est touché par la guerre ou par des tensions politiques.

Chaque année, le Québec accueille un nombre significatif d’étudiant·e·s originaires de partout dans le monde. Selon les données préliminaires publiées le 25 septembre 2024 par le Bureau de coopération interuniversitaire (BCI), la province compte à ce jour un peu plus de 57000 étudiant·e·s internationaux·ales. Que ces dernier·ère·s s’y soient installé·e·s il y a plusieurs années ou récemment, près des trois quarts d’entre eux·elles ont choisi Montréal comme terre d’accueil.

Outre les émotions récurrentes qu’implique le fait de vivre loin de chez soi, certain·e·s étudiant·e·s peuvent également se sentir impuissant·e·s, coupables ou nostalgiques face à des situations difficiles dans leur pays natal. Leur ressenti est toutefois contrasté.

Continuer à vivre

À peine arrivée à Montréal, l’étudiante de première année au baccalauréat en journalisme à l’Université Concordia Christel Abi Samra s’est retrouvée confrontée, à distance, à l’horreur de la guerre. «Je ne sortais pas de la maison et je ne faisais rien, j’étais au téléphone avec mes amis tout le temps, révèle-t-elle. J’entendais les bombes et les missiles avec eux et je me sentais coupable de ne pas y être.»

Originaire de Beyrouth, au Liban, Christel est arrivée à Montréal au début du mois de septembre, accompagnée de son conjoint, pour y poursuivre ses études. Moins d’un mois plus tard, le 23 septembre 2024, Israël lançait son opération dans le sud de son pays, signalant de facto la reprise officielle de la guerre entre l’État hébreu et le Hezbollah.

Au cours des premières semaines du conflit, l’étudiante en journalisme s’est surprise à consommer, du matin au soir, les nouvelles de son pays sur son téléphone. Une pratique à laquelle elle ne s’adonne plus désormais, en raison de l’effet sur son moral. «J’ai compris que peu importe si je savais ce qui se passait ou non, je ne pouvais rien y changer», poursuit-elle. De plus, ses proches lui ont déconseillé de se préoccuper de leur sort afin de continuer à vivre sa vie. Aujourd’hui, assise sur la terrasse de la cour intérieure du campus Loyola, elle accepte cette réalité.

« Ça peut être extrêmement difficile, du fait qu’ils peuvent se sentir impuissants, parce qu’ils ne sont pas présents dans leurs pays d’origine, explique la professeure au Département de psychologie de l’Université de Montréal Roxane de la Sablonnière. Physiquement, du moins, ça peut être difficile pour certains étudiants de gérer ce contexte d’incertitude. » Certaines personnes peuvent se sentir privilégiées d’avoir pu fuir la guerre et la violence pour poursuivre leurs études au Canada, mais parallèlement, elles ont aussi l’impression d’abandonner leurs proches, leur culture et leur pays. Un sentiment que l’étudiante libanaise connaît bien. «Je suis heureuse d’être ici, mais j’ai l’impression d’avoir trahi ma culture», avoue-t-elle.

Apprendre à se distancer

À l’instar de Christel, l’étudiante de troisième année au baccalauréat en droit à l’UdeM Camila Quiroga Sanchez et celle en études internationales Maria Leon Leyton ont reçu le même conseil de la part de leurs proches. Ces derniers ne souhaitent pas non plus que la situation en Bolivie, d’où elles sont originaires, bouleverse leur vie et leurs études au Canada.

Les deux jeunes femmes, qui sont arrivées à Montréal en 2021, ont également appris à prendre de la distance avec l’actualité de leur pays. « On apprend à vivre avec une carapace », précise Camila. En dehors des échanges avec les membres de leurs familles, elles évitent donc autant que possible les nouvelles de leur pays, souvent anxiogènes.

Au cours des derniers mois, la Bolivie a subi plus d’une crise : économique, en raison de la pénurie de dollars dans les caisses de la Banque centrale ; environnementale, en raison des feux de forêt en Amazonie; politique, à la suite d’une tentative de coup d’État militaire l’été dernier. De plus, plusieurs manifestations provoquées par des tensions entre l’ancien président, Evo Morales, et le président actuel, Luis Arce, ont récemment immobilisé les routes du pays.

Malgré un bilan qui, a priori, semble dévastateur, les deux étudiantes affirment que la situation est bien moins catastrophique qu’elle ne le paraît. « Ce sont des choses qui arrivent fréquemment en Bolivie, mentionnent-elles. Ça pourrait être bien pire. »

L’étudiante en 3e année du baccalauréat en Droit à l’UdeM Camila Quiroga Sanchez. Photo I Clément Souchet

Camila et Maria s’estiment néanmoins chanceuses que la vie de leurs proches ne soit pas en danger. Si la situation actuelle ne les bouleverse donc pas, elles appréhendent toutefois les élections générales qui auront lieu à l’été 2025.

L’étudiante en 3e année du baccalauréat en Études internationales à l’UdeM Maria Leon Leyton. Photo I Clément Souchet

De son côté, l’étudiant de deuxième année à la maîtrise en communication à l’UdeM Alex Blaise se sent personnellement moins touché par la situation dans son pays natal, Haïti. La majeure partie de sa famille, qui a choisi de rester au pays, réside dans Les Cayes, une région du sud qui, à ce jour, est à l’abri des gangs. « La vie continue », relativise-t-il après que son cousin lui a dit que la vie sur place était « normale ».

Partir ou rester

Christel est en paix avec sa décision d’avoir quitté le Liban, et elle n’a pas l’intention de retourner y vivre. La quête d’une vie tranquille et hors de danger fait d’ailleurs partie des raisons qui l’ont poussée à s’installer au Canada. Pendant son enfance, elle a en effet été témoin du conflit israélo-libanais de 2006, un événement qui la faisait appréhender le retour d’une guerre dans son pays.

Alex, au contraire, souhaite retourner en Haïti, où il n’a pas séjourné depuis 2010, et les paysages, l’odeur du café et de la terre, ainsi que le train de vie tranquille lui manquent profondément. Il aimerait contribuer au développement de son pays, mais l’insécurité le rend réticent. La violence des bandes armées ne cesse, en effet, de s’étendre, et le contexte politique est même «normalisé», selon lui.

Malgré l’abondance de nouvelles pessimistes venant d’Haïti, Alex mettra toujours sur un piédestal ce pays, source de ses plus beaux souvenirs d’enfance. Camila et Maria partagent le même ressenti. Toutes deux ont également une profonde admiration pour leur pays natal et en sont particulièrement
fières, y compris dans les moments les plus difficiles.

Elles aussi aimeraient retourner dans leur pays, mais la situation socio-économique en Bolivie n’est pas suffisamment favorable. « Mes proches me disent de ne pas y retourner, car il n’y [aurait] rien à y faire », confie Maria sur un ton mélancolique. Une réalité qui rend les deux étudiantes particulièrement tristes.

À quand le retour?

Alex, qui a déposé son mémoire de maîtrise il y a quelques semaines, a également posé sa candidature pour poursuivre ses études au doctorat à l’automne 2025. Il envisage d’ailleurs de retourner en Haïti afin d’y effectuer son projet de recherche sur l’autosuffisance alimentaire dans le sud du pays. Néanmoins, selon lui, la situation en Haïti ne s’améliorera pas ni à court ni à moyen terme, ce qui met en péril ses projets d’études.

Christel avait pour sa part acheté à l’avance ses billets d’avion pour retourner au Liban pendant les vacances d’hiver, mais à l’heure actuelle, elle considère ce projet peu réalisable. « Ils menacent également de bombarder les aéroports, et si ce scénario survient, je ne pourrai pas revenir ici », regrette-t-elle. Elle garde néanmoins espoir. Trouver sa communauté Mme de la Sablonnière insiste sur le fait que les immigrant·e·s et les étudiant·e·s internationaux·ales doivent bien s’entourer. « Que ce soit un groupe universitaire, un groupe sportif ou autre chose, le sentiment d’appartenance va les aider à se sentir bien ancrés et à faire face aux épreuves, car ils y retrouvent un soutien important », explique-t-elle.

L’entourage de Christel se compose surtout d’autres étudiant·e·s internationaux·ales, de son conjoint et de ses ami·e·s libanais·e·s. Parler du Liban et de ce qu’elle vit l’aide à traverser les périodes les plus
pénibles.

Camila et Maria ont quant à elle d’abord été l’une pour l’autre le soutien dont elles avaient besoin lorsqu’elles devaient se confier et parler des événements qui survenaient dans leur pays. Elles ont ensuite intégré l’Association des étudiante·s latinoaméricaine·s de l’UdeM (AÉLUM), dont elles sont désormais respectivement présidente et vice-présidente. Cette communauté leur a permis de s’identifier à d’autres étudiant·e·s latinoaméricain·e·s qui sont en mesure de mieux comprendre, entre autres, leur état émotionnel.

Partager cet article