Malgré le titre du journal et la date de la Saint-Valentin proche, ce numéro ne parle pas d’Amour. À la lecture de plusieurs de nos articles, vous y trouverez un dénominateur commun : la violence.
La violence se mêle aux différentes facettes de nos vies, elle s’immisce dans nos rapports personnels, amicaux ou professionnels. Comme indiqué dans nos pages, elle se retrouve au sein des couples, sur les bancs de l’université ou dans la rue. La violence est un outil pour se faire entendre, mais aussi un moyen de réduire au silence. Elle est subtile, se cache dans des réflexions quotidiennes accompagnées d’un sourire, mais elle est également primitive quand elle casse des vitrines ou des mâchoires. La violence peut être tant intentionnelle que provoquée par l’ignorance. Elle s’exerce tant dans le monde matériel que dans l’espace virtuel.
De ces nuances surgit une problématique : la violence est une histoire de point de vue.
Selon l’Institut national de santé publique du Québec, les enquêtes réalisées auprès d’échantillons représentatifs de la population repèrent de manière presque exclusive la violence situationnelle. Cela survient lors de conflits ponctuels entre deux partenaires et s’inscrit plutôt dans une dynamique violente de gestion des conflits. À l’image des acteurs Johnny Depp et Amber Heard dont le couple se déchire sur la place publique, le rôle de l’agresseur ou de la victime doit varier selon le point de vue de l’un ou de l’autre. L’actrice a révélé en 2017 des photos la montrant avec une ecchymose sur son œil droit. Victime n’est-ce pas ? Pourtant récemment des enregistrements ont été publiés où Amber Heard admet avoir frappé Johnny Depp, avant de laisser entendre qu’un tribunal ne prendrait jamais parti pour un homme dans une affaire de violences conjugales. Agresseur n’est-ce pas ?
Les agresseurs jouant la victime : un classique des manipulateurs. C’est une méthode aussi utilisée par l’ex-compagnon de Laura une étudiante de l’UdeM témoignant des agressions subies en trois ans de relation (p. 10), que par le chanteur québécois Éric Lapointe, accusé de violence conjugale et dont l’avocat a récemment déclaré « Ce n’est pas facile pour M. Lapointe de vivre tout ça, tant économiquement que personnellement et socialement, ce n’est pas à oublier. » Clairement cela ne devait pas être facile pour M. Lapointe d’avoir perdu son siège à l’émission La Voix, ou pire, de s’être fait attraper pour avoir frappé une femme. Tout est une question de point de vue, je vous dis.
En dehors du couple, nous retrouvons aussi cette pratique du côté du président des États-Unis, Donald Trump. À la suite de son acquittement, il a qualifié les dirigeants démocrates de « vicieux et méchants ». Venant d’un personnage aux propos misogynes et racistes, ayant qualifié plusieurs nations africaines de « pays de merde », ou parlant d’attraper les femmes par la chatte (ne l’oublions pas), c’est un point de vue singulier.
Le racisme ordinaire, le poids des préjugés, l’étudiant huron-wendat à l’UQAM Arnaud Gigon-Rochette, rencontré à l’atelier Mettre en action la réconciliation avec les Premiers Peuples, nous en parle (p. 13). Cette violence prend la forme d’un poison insidieux, injecté par des petites phrases anodines du quotidien. Elle est le fruit d’un manque de compréhension et d’éducation et prend place au sein même d’un établissement universitaire. Difficile constat.
Selon l’étudiant, les blagues sur l’alcoolisme ou sur ses origines sont fréquentes. « Je pensais que tu étais 100 % Québécois, comme nous », confie-t-il avoir déjà entendu. Ces personnes comprennent-elles la violence de leur propos ? Elles pensent surement être inoffensives, voire ouvertes à la discussion et à l’autre. En défendant leur point de vue, elles pourraient argumenter : « Mais je ne suis pas raciste, j’ai un ami autochtone ! »
Une blague pour l’un peut se vivre comme une agression pour l’autre, Mike Ward pourrait vous en parler.
Selon les militants antispécistes (p. 9), la violence se retrouve dans le traitement réservé aux animaux, leurs droits fondamentaux sont bafoués. « Ce n’est pas de la nourriture, c’est de la violence ! », ont-ils scandé en investissant l’épicerie Rachelle-Béry à Montréal, dimanche après-midi. Alors eux-mêmes perpétuent le cycle et s’en prennent à des commerçants en les accusant de complicité de meurtre. La copropriétaire du restaurant Manitoba, Élisabeth Cardin, nous a expliqué avoir retrouvé de la colle dans sa serrure ainsi qu’une lettre. « La lettre, un peu menaçante, disait qu’on avait du sang sur les mains, qu’on était complices du meurtre d’oies », décrit-elle. Qui violente quoi ?
Comme l’a démontré l’année 2019 en France, à Hong Kong, au Chili ou en Iran, la violence est utilisée comme un moyen d’expression, comme un mégaphone pour projeter sa voix et ses revendications. Dans certaines situations elle s’exprime par l’usage de projectiles ou cocktails Molotov lancés en direction des forces de l’ordre. Comment répondent ces dernières ? Avec ce même outil multifonction qu’est la violence, employé cette fois pour trancher les cordes vocales des mouvements et les réduire au silence. « J’ai vu beaucoup de gens traumatisés par des charges antiémeutes, on peut vraiment subir de la violence psychologique », déclare un intervenant dans notre article sur la santé en manifestation (p. 7).
Planté sur notre perchoir, nous observons et selon notre sensibilité, nous prenons part aux conflits en adoptant l’un ou l’autre des points de vue. Chaque situation apporte son lot de nuances, la prise de position s’en trouve parfois difficile.
Plutôt que de tomber dans la facilité à observer l’histoire humaine et se dire « de toute façon l’humain est violent par nature », il convient peut-être de réaliser que l’humain est sorti depuis bien longtemps de sa forme primitive et est doté du libre arbitre.