«Pour pouvoir briser les tabous, il faut se montrer à visage découvert et parler ouvertement de nos difficultés psychologiques », estime Lysa-Marie. Elle explique que témoigner ainsi est un prérequis pour pouvoir participer au projet, et que beaucoup de participants ont exprimé leur sentiment d’accomplissement après avoir partagé leur histoire de cette manière.
« Je rencontre chaque semaine des personnes qui ont un trouble de la santé mentale, diagnostiqué ou non, ou qui ont traversé une épreuve de vie difficile, développe-t-elle. Ça peut être un deuil, un cancer, une agression, un accident. » Chaque témoignage, accompagné d’une photo, est publié sur Facebook et Instagram.
Selon l’étudiante, parler de son histoire publiquement fait partie du processus de guérison. « Mon intention derrière ce projet est de briser l’isolement des personnes qui souffrent, mais aussi de donner l’espoir qu’il est possible de s’en sortir », développe-t-elle.
Lysa-Marie explique que la stigmatisation de la maladie semble avoir un effet important sur le ressenti des personnes en difficulté, et que deux tiers des personnes souffrant d’une maladie mentale n’iraient pas chercher de l’aide1, en raison des préjugés qui entourent la santé mentale. « Au Québec, il y a encore trois personnes par jour qui se suicident2, c’est un problème au niveau de la société », affirme-t-elle.
À visage humain
Le travailleur autonome Marc-Antoine Charette, qui a participé comme témoin au projet de Lysa-Marie, insiste sur l’aspect bénéfique de la photo prise à la suite de sa rencontre avec l’étudiante. « C’est thérapeutique, raconte-t-il. Je pense que le portrait capté dégage vraiment l’émotion heureuse de la personne, qui se sent libérée d’une charge personnelle. »
D’après lui, accompagner le témoignage d’une photo propose une approche plus humaine et permet de créer un lien entre le participant et le lecteur. « Il faut montrer que la souffrance peut prendre n’importe quel visage », insiste Alexanne Lessard (figurant en une), doctorante en psychologie clinique à l’UdeM, qui a aussi participé au projet.
En tant que future thérapeute, Alexanne explique avoir beaucoup réfléchi aux conséquences que pouvait avoir la publication de son témoignage à visage découvert sur les réseaux sociaux.
Cependant, elle estime qu’il est important de montrer que la déprime peut toucher n’importe qui et que personne n’est à l’abri de troubles psychologiques, pas même les thérapeutes. « Ça fait partie de l’être humain d’avoir des vulnérabilités, et c’est justement ça qu’on essaye de mettre en avant », explique-t-elle.
Partager sa souffrance
« Ce projet partait tout d’abord de ma propre solitude, développe sa créatrice, Lysa-Marie. Un membre de ma famille s’est suicidé, il avait honte de sa maladie mentale. » L’étudiante explique que cet évènement a été l’élément déclencheur qui l’a conduit à lancer ce projet.
L’idée de pouvoir sensibiliser la population et d’avoir des répercussions positives sur la vie de personnes en difficulté a convaincu Marc-Antoine de participer au projet de la doctorante. « Je ne m’attendais pas à ce que ça me fasse autant de bien, c’est une grosse vague d’amour », raconte-t-il. À la suite de la publication de son témoignage, Marc-Antoine a eu l’occasion d’échanger avec des personnes ayant vécu une expérience similaire à la sienne. « Finalement, ça m’a rappelé que je n’étais pas seul », dit-il.
Alexanne soulève l’importance de s’ouvrir pour guérir. « M’ouvrir à mon entourage a été un des défis quand j’ai vécu mon deuil, étant donné la culture du bonheur dans la société », raconte-t-elle. Humain avant tout permet, selon Alexanne, d’aborder des sujets sensibles touchant beaucoup de monde et s’éloigne de la superficialité des réseaux sociaux.
D’après son expérience, le projet amène les gens à s’arrêter sur les difficultés de leur vie, à se poser les bonnes questions et à aller chercher de l’aide. « Je me suis sentie un peu utile et comprise », conclut-elle.
Minimiser les tabous
Le projet Humain avant tout prend de l’ampleur. Lysa-Marie a déjà récolté 70 témoignages et est régulièrement sollicitée par de nouvelles personnes désireuses de participer au projet. « J’ai l’impression que ça fonctionne et que ça vient toucher les gens », se réjouit-elle. Pour l’étudiante, réduire les tabous autour des problématiques liées à la santé mentale constitue la première étape d’un changement des mentalités.
1. « Faits et statistiques de la santé mentale », Institut universitaire en santé mentale de Montréal.
2. « Le suicide au Québec : 1981 à 2016 – Mise à jour 2019 », Institut national de santé publique du Québec.