«Produire de l’art demande une certaine sobriété, témoigne la professeure de création littéraire de l’Université McGill Laurance Ouellet Tremblay. On ne peut pas compter sur l’ivresse comme seul moteur d’inspiration. » Selon elle, tout artiste est déjà habité par un désir d’expression. Ce dernier peut être exalté par la prise de substances, mais l’alcool ne crée pas le talent artistique. Elle ajoute que rares sont les écrivains ayant absolument besoin de boire pour écrire.
Le professeur en neurologie au Département de sciences biologiques de l’UdeM Stéphane Molotchnikoff abonde dans le même sens. Il soutient que l’alcool joue davantage sur la créativité en désinhibant l’esprit qu’en apportant un quelconque talent. « Dans la vie comme dans l’art, on est contraint par la morale et les lois, déclare-t-il. Lorsqu’on boit de l’alcool, on permet à l’imaginaire de se manifester de façon plus prononcée, au-delà de ces barrières morales ou légales. » Il ajoute que l’alcool peut être utilisé comme un outil dans le domaine artistique, à condition d’être consommé avec modération.
Une influence variée
Pour Mme Ouellet Tremblay, il est pourtant difficile d’arriver à produire quoi que ce soit dans un état d’ébriété. « À trois heures du matin, après avoir bu cinq pintes de bière, lorsque je prends mon calepin, j’écris n’importe quoi et mes phrases n’ont aucun sens », nuance la professeure de littérature. Elle témoigne tirer profit de son ivresse uniquement a posteriori. « Quand je suis moins inhibée, je fais davantage de rencontres et je vis des choses plus intenses que celles de mon quotidien, raconte l’auteure. Ces moments peuvent être une grande source d’inspiration. »
Le compositeur du duo électro-pop Titelaine, Loukas Perreault, trouve lui aussi encore plus compliqué de produire sous les effets alcool. « Si je continue à travailler tard le soir, ça se peut que je prenne une bière, mais finir saoul ne m’aiderait pas du tout », relate l’étudiant au DESS en musique de film à l’UQAM.
Dans la production d’autres styles de musique ou de formes d’art plus abstraites, Loukas présume par contre que l’ivresse peut aider certains artistes à se laisser aller. « La beauté de l’art, c’est qu’il n’y a pas de règles à suivre et que chacun est libre de créer comme bon lui semble », déclare l’étudiant, pour lequel l’important n’est pas le processus de production, mais le résultat à la clef.
Une question de dosage
M. Molotchnikoff explique que, dans le processus de production artistique, le cerveau est l’organe créateur qui fige matériellement les images dans nos esprits. « Une grande partie des fonctions cérébrales ont comme rôle d’empêcher ces neurones excitateurs de fonctionner, expose le professeur en neurologie. L’alcool agit directement sur cet équilibre, ce qui rend le cerveau plus agité et l’esprit plus délié. » Il met également en garde quant aux effets négatifs de la drogue sur le système nerveux.
Démocratisation d’une drogue
Malgré tout, Mme Ouellet Tremblay énonce que l’alcool a toujours eu une place importante dans la société, et que cela va continuer. « Que ce soit bien ou mal, une chose est certaine : les artistes n’ont jamais été parmi ceux qui répugnaient les expériences d’altérations de l’esprit », dit-elle.
Elle considère même que la consommation d’alcool s’est banalisée avec le temps, notamment chez les femmes. « Au 20e siècle, Marguerite Duras était l’une des premières écrivaines à assumer son alcoolisme, tandis que les autres vivaient toujours dans leur carcan, isolées », rappelle la professeure. De son expérience dans la communauté littéraire, elle confirme qu’aujourd’hui, une artiste qui consomme de l’alcool est beaucoup moins ostracisée.
« C’est un masque hypocrite que l’on porte, nuance toutefois Mme Ouellet Tremblay. On trinque nos verres de vin, mais on oublie que c’est une substance très dangereuse qui peut littéralement nous coûter la vie. » Elle conclut que l’alcool, légal et dont la consommation est banalisée, est aussi le témoin des dérapages que l’on est prêt à accepter dans la société.