Quartier Libre : Comment peuvent se manifester les répercussions des changements climatiques sur la santé mentale ? Francis Vergunst : Ils vont surtout se manifester indirectement. Les évènements climatiques comme les tempêtes, les inondations et les migrations forcées vont avoir un impact sur le bien-être et la psychologie de la population. On peut s’attendre entre autres à un accroissement de la dépression, des traumatismes et du suicide. L’anxiété face aux changements climatiques en est un exemple.
Q. L. : Qu’en est-il de la hausse de la température elle-même ?
F. V. : Il est établi depuis longtemps qu’il existe un lien indéniable entre les hausses de températures et la violence. Maintenant, il est difficile de démontrer un lien de causalité entre les changements climatiques et la santé mentale car cette dernière se base sur plusieurs facteurs. Mais une étude récente montre qu’une augmentation de 1 °C des températures de saison entraîne une augmentation du taux de suicide de 0,7 % aux É.-U. et de 2,1 % au Mexique*. Les réseaux sociaux sont un autre facteur mis en avant par l’étude. Une plus haute température se traduit par des commentaires plus perturbés et moroses sur ceux-ci.
Q. L. : Le contexte actuel est-il favorable ou défavorable à la santé mentale des citoyens ?
F. V. : La vie telle qu’on la connaît aujourd’hui dans nos sociétés est assez mauvaise pour la santé mentale. Elle fait de l’être humain un être isolé socialement. Les changements climatiques peuvent avoir « l’avantage » de créer un momentum en soudant la communauté au niveau local, mais aussi international. Ces changements sociaux prennent du temps, mais sont importants, même dans nos pays développés. Vivre au Canada, avec des services de pointe et une grande richesse, n’empêche pas les canicules comme celles qu’on a eues durant l’été et les morts qu’elles ont entraînées.
Q. L. : Avez-vous des pistes de solution ?
F. V. : Ma collègue Helen Louise Berry travaille à adapter l’idée sur la pensée systémique**. Le système de pensée actuel ne fait pas le pont entre changements climatiques et santé mentale. Pourtant, ce lien est déjà établi avec les conséquences indirectes qu’on connaît. Le but d’établir un nouveau système de pensée est de comprendre et améliorer l’interconnectivité. Nous sommes tous connectés indirectement. Il faut s’adapter aux changements climatiques en créant une meilleure communauté internationale. Avoir cette pensée systémique nous aiderait à mieux comprendre comment les changements climatiques influent sur la santé mentale, mais aussi comment une situation économique, politique ou sociale peut influencer cette dernière. Il faut comprendre que les changements climatiques vont impacter l’être humain, non pas individuellement, mais collectivement.
Q. L. : Outre la dépression, est-il possible de lier le taux de suicide à d’autres facteurs ?
F. V. : On a pu lier l’augmentation du taux de suicide avec la mort de célébrités. Les problèmes économiques ou sociaux comme la perte d’un emploi ou d’un être cher restent par contre les raisons les plus fortes. Aux États-Unis, le taux de suicide a augmenté de près de 30 % entre 1999 et 2016, selon le Centre pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC), une organisation gouvernementale. Ce qu’on essaie de savoir maintenant, c’est l’effet des changements climatiques sur la hausse du taux de suicide.
*Marshall Burke, Felipe Gonzalez, Patrick Baylis, Sam Heft-Neal, Ceren Baysan, Sanjay Basu et Solomon Hsiang, « Higher Temperatures Increase Suicide Rates in the United States and Mexico » (2018), Nature Climate Change, vol. 8, p. 723-729
**Helen L. Berry, Thomas D. Waite, Keith B. G. Dear, Anthony G. Capon et Virginia Murray, « The Case for Systems Thinking about Climate Change and Mental Health » (2018), Nature Climate Change, vol. 8, p. 282-290