Volume 24

« Je trouvais très paradoxal qu’un pays comme Cuba, très fier de son système médical, vende la santé à des étrangers », Mariève Deschamps-Band, étudiante à la maîtrise en géographie à l’UdeM. Crédit photo : Courtoisie Mariève Deschamps-Band.

Médecine à vendre

Pour bien comprendre le tourisme médical, Mariève s’est concentrée sur la mobilité nord – sud, c’est-à-dire les Québécois, voire les Canadiens, qui se rendent à Cuba pour y recevoir des soins médicaux. « Certains Canadiens se rendent à Cuba pour subir de la chirurgie esthétique, qui coûte moins chère, mais aussi pour contourner les listes d’attente et obtenir un rendez-vous rapidement, ou suivre des traitements qui ne sont pas proposés ici », explique-t-elle.

Des études ont été menées sur ce sujet, mais rarement dans les régions de l’Amérique latine ou de Cuba. « Avant de me rendre sur le terrain, j’avais lu des textes sur le tourisme médical, mais ces études se déroulaient sur le continent asiatique, raconte-t-elle, stipulant que le fonctionnement est complètement différent dans ces deux régions du monde. Dans les pays asiatiques, c’est le secteur privé qui développe l’industrie du tourisme médical, alors qu’à Cuba, c’est le gouvernement. »

Un paradoxe social

Cette industrie a longtemps été marginalisée, mais devient, depuis une trentaine d’années, une pratique de plus en plus populaire auprès des Occidentaux, selon la doctorante. « Je trouvais très paradoxal qu’un pays comme Cuba, très fier de son système médical, vende la santé à des étrangers, raconte-t-elle, soulignant que la santé fut l’un des piliers de la révolution socialiste cubaine en 1959. Le gouvernement a nationalisé le système pour permettre à tous les Cubains d’avoir accès à un service de santé décent. » Le tourisme médical a ainsi été perçu comme une façon de répondre aux besoins économiques du pays, de remédier aux pénuries de médicaments et de réparer les équipements médicaux qui tombaient en désuétude.

Mariève ignorait à quoi s’attendre, étant donné les différents discours qui circulent au sujet de l’espace cubain. « Il existe un décalage entre ce que les gens perçoivent de Cuba en tant que pays avant de s’y rendre, et leur perception après avoir eu recours à des soins médicaux, explique-t-elle. Ces perceptions de l’espace cubain font en sorte que les étrangers sous-estiment l’avancée médicale du pays. »

L’entrée de l’hôpital général Calixto Garcia, à La Havane. Crédit photo : Courtoisie Mariève Deschamps-Band.
L’entrée de l’hôpital général Calixto Garcia, à La Havane. Crédit photo : Courtoisie Mariève Deschamps-Band.

 

Cuba sous un autre angle

La directrice de recherche de Mariève et professeure en géographie à l’UdeM, Violaine Jolivet, souligne l’aspect novateur d’un projet qui se penche sur un phénomène existant, mais peu étudié. « Mariève ouvre la voie dans deux champs, à la fois vers la macro région latino-américaine et dans la façon d’étudier Cuba, souvent analysé sous ses aspects géopolitiques, explique-t-elle, précisant que le projet permet de comprendre les enjeux de la géographie de la santé et des nouvelles mobilités qui y sont associées. Elle analyse bien la géographie des mobilités en essayant de démontrer, entre autres, comment cela révèle des dysfonctionnements dans les systèmes de santé des deux espaces étudiés, le Québec – Canada et Cuba. »

De son côté, l’étudiante au certificat de relations industrielles à l’UdeM originaire de Cuba, Loraine Diaz-Telleria, reconnaît avoir eu connaissance de ce phénomène, mais ne pas en avoir soupçonné l’ampleur. « Je savais qu’il y avait des gens qui se rendaient à Cuba pour des raisons médicales, mais pas nécessairement des Québécois, raconte-t-elle en félicitant l’initiative du projet de Mariève, qui met en lumière la structure déficiente du système de santé d’ici. Si les gens se rendent à l’étranger pour obtenir des soins médicaux, c’est que le système actuel manque de quelque chose. »

Une expérience humaine

Pour bien s’intégrer à la culture locale dans ce qui était sa première recherche sur le terrain, Mariève a été hébergée par une famille cubaine qui l’a aidée à trouver ses repères et se familiariser avec la langue, ce qui la rendait nerveuse. « J’ai appris l’espagnol dans un cadre académique, mais ça faisait plusieurs années que je ne l’avais pas vraiment parlé en discutant avec quelqu’un », souligne-t-elle en notant que ses hôtes l’ont mise à l’aise et lui ont permis d’améliorer son espagnol. Une réalité très différente entre le Québec et Cuba l’a d’ailleurs frappée, à savoir qu’il n’est pas facile de trouver tous les produits alimentaires dans les supermarchés de Cuba. « Une fois, ma maman cubaine a dû attendre quatre jours pour trouver du fromage qui accompagnerait des spaghettis, raconte Mariève. Elle a fait le tour de tous les supermarchés ; il n’y en avait simplement plus. »

Malgré quelques soucis d’approvisionnement alimentaire et une connexion internet difficile, Mariève aimerait poursuivre sa recherche sur le tourisme médical dans la région, en y ajoutant peut-être un nouvel angle de recherche.

Partager cet article