Pour son projet de recherche, Valentina Gaddi s’est intégrée à l’arrondissement montréalais d’Outremont, connu pour la diversité de ses communautés. Pendant plus de deux ans, elle s’est mêlée aux activités de l’association de quartier Les Amis de la rue Hutchison, qui cherche à organiser des discussions quotidiennes entre ses habitants, notamment entre juifs hassidiques et non hassidiques.
Parallèlement, elle a suivi de près les différentes controverses municipales liées à la religion dans le cadre des séances du conseil d’arrondissement, de façon à mieux saisir les problèmes entre les résidents d’Outremont et les communautés de juifs hassidiques. « La force de ce travail est d’avoir fait une ethnographie, une perspective qualitative, indique la titulaire de la Chaire de recherche du Canada en études du pluralisme religieux et directrice de recherche de Valentina, Valérie Amiraux. Très peu de personnes ont traité ce thème avec une démarche de terrain, au plus près de leur sujet, soit en discutant avec des juifs hassidiques et non hassidiques au lieu de se baser sur des films, des livres ou des études déjà existants. »
Dialogue complexe
Le projet de la jeune étudiante s’intéresse surtout à ce qu’elle appelle la « grammaire d’Outremont », soit le processus de cristallisation d’enjeux généraux dans des discussions très techniques liées aux règlements de l’arrondissement. « Certains règlements dans le conseil ne tiennent pas compte des besoins des communautés juives et tout le débat autour des difficultés du vivre-ensemble est évité », ajoute Valentina.
À titre d’exemple, elle aborde une controverse liée à la fête de Souccot qui dure neuf jours et nécessite la construction de cabanes sur les balcons. Le règlement d’Outremont l’autorise pendant 15 jours. « Le département d’urbanisme a proposé au conseil de modifier le règlement pour autoriser la présence de ces cabanes sept jours avant et après, le temps de les mettre en place et de les démonter correctement, raconte la doctorante. Beaucoup de conseillers, pour des raisons de sécurité et de neutralité, n’ont pas voulu aller plus loin qu’un délai de trois jours avant et après. » Suite à un débat acharné entre ces deux options, le processus n’a pas été voté et l’imprécis délai des 15 jours demeure.
Au cours de consultations publiques, Valentina a été témoin de longues discussions et débats à propos de ces règlements municipaux. Un problème flagrant de communication qui engendre, selon elle, une certaine méfiance envers les juifs hassidiques. « Ils sont très préoccupés par le fait de se protéger en créant des frontières, relève Valentina. Ces communautés regardent beaucoup vers l’intérieur, créant leurs propres écoles et leurs propres commerces. »
De nombreux stéréotypes
Les juifs hassidiques sont d’ailleurs les sujets de nombreuses représentations dans l’imaginaire collectif. Rares sont les personnes qui s’appuient sur des informations fondées pour se créer une opinion, souvent basée sur des impressions selon Valentina. « C’est comme ça qu’a commencé mon travail, explique l’étudiante. Je voulais vérifier les rumeurs. Parler avec les gens des deux bords. Quels sont les vrais enjeux ? »
L’étudiant au baccalauréat en comptabilité à HEC Anthony Di Ioia a grandi à Outremont et a connu quelques difficultés avec ces communautés. « Nous ne cohabitons pas, nous vivons en parallèle. Les juifs hassidiques construisent des murs sous prétexte de leur religion et c’est ce qui sépare les communautés, affirme-t-il. Ils ne font aucun effort pour s’intégrer, au contraire. Ils se battent pour des causes qui créent encore plus de distance entre nos communautés. » À titre d’exemple, Anthony raconte avoir voulu entrer dans leurs magasins à plusieurs reprises. « S’ils vous voient arriver, ils vont parfois verrouiller et faire comme si vous n’étiez pas là. Si vous parvenez à entrer, bonne chance pour vous faire servir convenablement », conclut-il.
L’expérience de Valentina lui a d’abord permis de prendre conscience que la communauté des juifs hassidiques n’est pas une seule entité, mais un ensemble de congrégations dans lesquelles chaque individu a sa propre façon de pratiquer la religion. « Des petites choses du quotidien entraînent une certaine méfiance envers ces communautés, ajoute-t-elle. Par exemple, l’importance qu’elles vouent à leur survie par une spécialisation religieuse des commerces, écoles, etc., interprétée comme une volonté de se couper du reste de la société. » Elle décrit aussi la pudeur qui façonne les relations entre hommes et femmes, souvent assimilée à une marque d’irrespect ou d’impolitesse par la société en général.
De rares espaces de discussion
Ces stéréotypes sont aussi causés par l’absence d’espace permettant aux citoyens d’échanger sur les véritables enjeux et problématiques. Ainsi, la population d’Outremont se construit plus facilement une image négative des communautés religieuses. « Les communautés hassidiques héritent d’un lourd devoir d’explication, qui n’est souvent pas rempli par manque de temps, d’occasions, mais aussi parfois par méfiance du monde extérieur », constate la doctorante.
Valérie Amiraux confirme que les lieux de conversation se font de plus en plus rares, ce qui empêche un échange efficace. « Il faudrait privilégier des espaces de confiance ou encadrés de certaines limites. Les acteurs pourraient s’exprimer en étant assurés que leur parole ne va pas leur nuire », affirme-t-elle, rappelant qu’une recherche de consensus à tout prix n’est pas une solution et tend plutôt à ralentir les avancées possibles.
Sa recherche de terrain a permis à Valentina Gaddi de mieux comprendre le cercle vicieux de la « grammaire d’Outremont » et la façon inefficace dont sont traités les enjeux dans ce quartier, ce qui, jumelé à une ignorance liée à l’absence d’espace d’échange adéquat entre les communautés, maintient une méfiance intercommunautaire.