Campus

La fin de la civilisation

Les nouveaux étudiants ont déjà subi leur initiation ou la subiront dans les prochaines semaines. Ainsi, ils s’inscrivent dans une tradition antédiluvienne qui fait de l’humanité l’espèce la plus super de l’histoire de tous les temps.

Crédit : Samuel Mercier

Il est donc émouvant de voir deux étudiants de droit en sous-vêtements, couverts de mélasse et d’une substance qui ressemble vaguement à du gruau (du muesli?). Pour les guider dans leur apprentissage, Francis Hogue, l’ancien

secrétaire général de la FAÉCUM, qui, lui, esthabillé en vahiné (avec le collier de fleurs et toutle reste), discute avec eux, une bière à la main.

Comment tartiner le nouveau

«Ça a été dans la bouche de tout le monde», m’explique un nouvel étudiant en me pointant le bol rempli de produits céréaliers non identifiables. La mise en commun du gruau est évidemment une des manières les plus efficaces de cimenter un groupe.

Crédit : Samuel Mercier

Le Guide de l’initiation 2010, préparé par la FAÉCUM lors de la 296e séance ordinaire du conseil de la vie étudiante, est d’ailleurs clair à ce sujet : «[L’initiation] est un lieu d’échange favorisant les rencontres et permettant de construire le sentiment d’appartenance qu’auront les nouveaux étudiants envers leur domaine d’étude, leur association, leurs confrères, etc.»

Et ça fonctionne! Les étudiants sont déjà en train d’entonner, à la suite d’un initiateur portant de grosses lunettes fumées à monture blanche: «Les filles de la B/Party! Party! Party!». Toutes les équipes reprennent en choeur. La chimie est là, bien sûr. Et l’animateur n’est certainement pas «en quête d’un quelconque pouvoir, pas plus qu’il […] n’anim[e] l’initiation avec un désir de vengeance», comme nous met en garde le Guide.

Les règles de l’engagement

Preuve que le guide est respecté à la lettre : Stéfanie Tougas, coordonnatrice aux affaires associatives de la FAÉCUM, vient me demander pourquoi je pose des questions aux étudiants. Le Guide explique qu’«en cas de présence d’un média externe à l’université, vous devez immédiatement en aviser le coordonnateur à la vie de campus».

Je lui réponds que je fais un article pour Quartier Libre. Elle m’explique les nouvelles règles :

« Nous supervisons pour qu’il n’y ait pas de “beurrage” des initiés…»

«Pourquoi ces deux-là sont couverts de mélasse?»

«Ça serait vraiment l’fun que t’en parles pas.»

D’accord ! N’empêche, l’initiation est plutôt tranquille. Quelques minutes plus tard, les initiés sont paisiblement assis en train de discuter. À en juger par leur tenue et la petite quantité de bières vides, ils ne sont pas vraiment en état d’ébriété, pour la plupart, mais il faut dire qu’il est midi.

C’est dire la déception du journaliste qui cherchait un scoop d’enfer. J’aurais pu utiliser un titre du genre : « Panique sur le campus » ou «Rivière de vomi sur la colline». Malheureuse – ment, j’ai beau patrouiller le campus, la tradition millénaire semble se perdre. Même les étudiants de pharmacie sont relativement propres, malgré une vague odeur de moutarde qui embaume les environs du pavillon Jean-Coutu.

Crédit : Samuel mercier

Force est d’admettre que quelqu’un ne fait pas son travail correctement et que les nouveaux étudiants ne reconnaîtront plus ni l’autorité, ni la chance qu’ils ont d’étudier à l’Université de Montréal. Je vous le dis, chers lecteurs : en l’absence de consensus moral, quand nous en venons à abandonner les principes mêmes qui ont fait la gloire de nos civilisations, il ne nous reste plus qu’à craindre un avenir terrible et misérable pour l’humanité.

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