Un doctorat pour rien?

icone Societe
Par Wildinette Paul
mercredi 9 avril 2014
Un doctorat pour rien?
Le doctorant Mohamed doukali estime que les docteurs francophones sont en concurrence avec les docteurs anglophones sur le marché du travail. (crédit photo : Isabelle Bergeron)
Le doctorant Mohamed doukali estime que les docteurs francophones sont en concurrence avec les docteurs anglophones sur le marché du travail. (crédit photo : Isabelle Bergeron)

Un diplôme de troisième cycle n’est pas garant de l’obtention d’un emploi. Seulement 20 à 30 % des détenteurs d’un doctorat sont en mesure d’obtenir un emploi en milieu universitaire. Les autres doivent faire face à un marché de l’emploi pour lequel ils ne sont pas forcément préparés.

Le chômage existe même chez ceux qui ont un diplôme du plus haut grade universitaire. « Il y a une forte croissance du nombre de doctorants alors que les postes de recrutement en enseignement ralentissent», soulève le vice-recteur adjoint aux études supérieures et doyen de la Faculté des études supérieures et postdoctorales, Roch Chouinard. Depuis dix ans, le nombre de doctorants a nettement augmenté à l’Université. « Chaque année, le nombre s’accroît de 2 à 3 %», ajoute-t-il.

Le doctorat exige du temps, de l’énergie et de l’argent, mais il ne suffit pas. «Obtenir un doctorat ne signifie pas qu’on commence sa carrière au sommet de l’échelle, rappelle M. Chouinard. Il faut laisser du temps au temps et gravir les échelons. » Peu importe le niveau d’études, tous les docteurs doivent passer par un processus de sélection lors de la recherche d’un emploi.

En plus du nombre élevé de doctorants s’ajoute la compétition entre les étudiants francophones et anglophones. «Après l’obtention du doctorat, les étudiants des universités francophones subissent une forte concurrence des docteurs issus des milieux anglophones », soulève l’étudiant au doctorat en sciences économiques et chargé de cours Mohamed Doukali. Il souligne que des universités comme l’UQAM ou l’UdeM n’emploient pas seulement des étudiants de ces institutions, mais aussi certains issus d’un milieu d’études anglophone.

Des avantages infimes

Les post-doctorants connaissent le même sort que les nouveaux docteurs. «Le salaire et les avantages sociaux minimes ainsi que l’insuffisance de la formation sont à l’origine d’une moins bonne insertion professionnelle», explique la vice-présidente du développement des affaires de l’organisme de recherche Mitacs, Josette-Renée Landry. Mitacs est un organisme qui propose des programmes de recherche et de formation permettant aux entreprises d’établir des liens avec des chercheurs canadiens et internationaux.

Malgré ces conditions précaires, certaines universités affirment ne pas être affectées par cette situation. « Selon une enquête faite auprès des diplômés de doctorat de la cohorte 2012-2013 de l’UQAM, le taux d’insertion professionnelle serait de 92 %, souligne la porte-parole de l’UQAM, Jenny Desrochers. Près de la moitié de ces doctorants ont obtenu leur emploi moins d’un mois après l’obtention de leur diplôme.»

Pourtant, rien ne permet de comprendre pourquoi certaines universités affichent un meilleur taux de placement de leurs docteurs. «L’UdeM a une bonne réputation et ses diplômes ont une grande valeur, soulève M. Chouinard. Les représentants des départements vont également s’intéresser à l’employabilité dans les différents domaines avant d’accepter un étudiant au doctorat.»

Des préjugés tenaces

Selon Mme Landry, certaines entreprises ne comprennent pas la valeur des doctorants au Québec et au Canada. «Il y a un problème de perception », affirme-t-elle.

Les stages sont donc plus que nécessaires aux cycles supérieurs. «Il faut former des étudiants qui soient compétitifs et polyvalents», constate M. Chouinard.

Détenir un diplôme de troisième cycle peut même devenir un facteur négatif. Certains cégeps hésitent et même refusent parfois d’engager des enseignants avec un tel diplôme pour des raisons salariales. «Mon emploi, je l’ai obtenu par moi-même et grâce à ma maîtrise », reconnaît l’étudiant au doctorat en histoire à l’UQAM et professeur d’histoire au collégial Pierre-Luc Beauchamp.

À l’UdeM, la Faculté des études supérieures et postdoctorales offre des activités favorisant le développement des compétences professionnelles. « Je crois qu’il est normal que l’Université s’intéresse à l’insertion professionnelle de ses étudiants», insiste M. Chouinard. Plusieurs formations sont mises en place pour bonifier l’insertion professionnelle. Certaines activités ont pour but d’aider les doctorants à rédiger des textes autres que scientifiques, à gérer du personnel ou tout simplement à savoir vulgariser leur projet de recherche.

Selon M. Beauchamp, les formations fournies par les universités ne sont pas assez diversifiées. «L’accent est mis sur les perspectives d’emploi pour devenir professeur ou chercheur universitaire et, à la rigueur, enseignant au collégial, juge-t-il. On en sait très peu sur les utilisations plus atypiques du doctorat.»

Bien que la réalité rattrape les doctorants, tous s’en tiennent à dire qu’on ne décerne pas trop de diplômes au Québec. La province a actuellement un nombre de diplômés de troisième cycle inférieur à la moyenne des autres pays. « Nous devons continuer à promouvoir ce diplôme, insiste Mme Landry. Au doctorat, j’ai pu explorer différents domaines. Ma façon de penser n’est plus la même.»

S’il est vrai que le taux de placement n’est pas parfait, il est meilleur que celui des diplômés du baccalauréat. «Les chances d’obtenir un emploi sont proportionnelles au niveau de scolarité, soulève M. Chouinard. Je n’ai jamais entendu quelqu’un dire qu’il regrettait d’avoir fait un doctorat.» Le doctorat amène certes une spécialisation dans un domaine d’études précis, mais il n’ouvre pas toutes les portes, malgré un minimum de trois années de thèse.

Article modifié le 22 avril 2014.