Le professeur au Département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques à l’UdeM André Gaudreault a coécrit le livre La fin du cinéma? Un média en crise à l’ère du numérique. Malgré ce titre alarmiste, le professeur précise que les films ne disparaitront pas de sitôt. C’est l’arrivée du numérique qui bouleverse autant la pellicule que les salles de cinéma traditionnelles.
«À la fin du titre, le point d’interrogation montre justement que l’on est ironique parce qu’il y a déjà eu huit morts du cinéma annoncées », avoue M. Gaudreault. Il parle donc de mutation, et non de décès. Selon le professeur, l’ère du numérique apporte une plus grande liberté au spectateur. «Avant, pour aller voir un film, on devait se dire: “j’attends que le film soit projeté dans ce lieu déterminé et à cette heure déterminée”, explique M. Gaudreault. Avec la télé, on pouvait regarder des films chez soi, mais on devait encore subir les décisions d’autrui.»
C’est donc le médium cinéma qui se meurt, et non l’industrie du film. «On voit beaucoup plus de films qu’avant en raison du phénomène Any time, anywhere, on any device (ATAWAD) [NDLR : le principe de pouvoir consulter n’importe où et n’importe quand du contenu numérique], mais une plus grosse partie est vue sur petit écran que sur grand écran, affirme-t-il. Il risque d’y avoir une séparation des genres et les films moins spectaculaires seront moins présents en salle.»
L’étudiant en étude cinématographique Samuel St-Pierre indique que ce n’est pas le premier changement important dans l’histoire du cinéma. « C’est comme quand le parlant est arrivé, le numérique est la mort d’un procédé cinématographique, explique-t-il. C’est juste une nouvelle étape.»
Aller en salle
La salle de cinéma reste un symbole très important encore pour certains cinéphiles. «Elles sont ce qu’il y a de plus sacré», croit l’étudiant à la maîtrise en études cinématographiques Francis Binet. Bien que certaines salles se vident, d’autres réussissent à tirer leur épingle du jeu. «Certains cinémas, enregistrent des hausses de profit, précise Francis. Leur particularité est de servir de l’alcool de façon discrète dans les salles, mais aussi d’offrir une sélection de films variés. Ils ont aussi une tolérance zéro pour le dérangement.»
La révolution numérique étant déjà enclenchée, ce qui passe en salle se diversifie. «Les exploitants ouvrent leurs salles à d’autres types de représentation, par exemple le hors-film comme les ballets, les entrevues, les concerts classiques», explique M. Gaudreault. Cette nouvelle expérience enthousiasme Samuel. « Aller au cinéma coûte moins cher que d’aller à l’opéra, dit-il. Ça peut servir à démocratiser certains genres qui étaient alors réservés à une élite.»
Grâce au numérique, les artisans du cinéma ont plus de libertés, parce que c’est moins coûteux que la pellicule. «Le numérique a démocratisé la production du cinéma en allégeant son poids économique et a permis aussi l’émergence de nouvelles possibilités de représentation », croit Francis Binet. Les effets spéciaux sont également beaucoup plus faciles à faire en numérique.
L’avenir de la pellicule est donc incertain. «Il y aura toujours des gens qui aimeront faire ça, mais ça risque de devenir de l’ordre de l’archéologie », pense Samuel. Francis, quant à lui, est moins catégorique et prône pour le moment la cohabitation. «Les technologies ne sont pas encore assez performantes pour détrôner la pellicule comme médium d’enregistrement et de visionnement», précise-t-il. Mais les deux étudiants regrettent un passage trop radical au numérique. « Les exploitants ont eu beaucoup de pression pour s’adapter, confie Francis. Ça m’effraie un peu.»
Formation caduque?
La formation en études cinématographiques à l’UdeM a aussi pris le virage numérique. «Dans le dernier cours de production, les étudiants peuvent choisir entre numérique et pellicule pour tourner leur film, indique Francis. C’est un peu la même chose pour la théorie, les professeurs ont des spécialisations très variées, et nous sommes exposés à un grand nombre d’approches qui cohabitent.»
Les cours ne sont toutefois pas que sur le médium, ils sont aussi sur la manière de voir le cinéma. « Nos cours se font sur la construction du regard, et ce qu’on apprend nous servira de toute façon, croit Samuel. Que l’on soit à l’ère du numérique ou pas, si je veux mettre en scène une scène, je le peux. En revanche, il nous faudrait plus de pratique de numérique dans nos cours.»
Le numérique n’est qu’une étape de plus dans la transformation du septième art. D’ailleurs, André Bazin, un influent critique cinématographique français, demandait déjà à la fin des années 1950 : « Qu’est-ce que le cinéma?» Aujourd’hui, même si la question se pose encore, l’ère du numérique nous en pose bien d’autres.