Culture

Who loves the sun, l’ode à la simplicité

Who Loves the Sun (Qui aime le Soleil) raconte l’histoire de Mahmood : au beau milieu du désert syrien, celui-ci s’engage chaque jour à faire fonctionner une raffinerie désuète pour subvenir aux besoins de sa famille. Derrière ce court-métrage documentaire se trouve un duo formé par le réalisateur Arshia Shakiba et la productrice Zaynê Akyol, tous deux habitués de la région après le tournage du documentaire Rojek, sur lequel ils avaient déjà collaboré. Quartier Libre les a rencontrés.

Quartier Libre (Q. L.): Comment vous êtes- vous réparti le travail sur la production de Who Loves The Sun?

Zaynê Akyol (Z. A.): Nous étions seulement deux sur le plateau; Arshia est un homme-orchestre, il est derrière la photographie, le script, l’organisation… Nous avions juste engagé un Syrien local, qui nous a aidés pour les prises de son à la raffinerie. Nous formons un très bon duo, une belle équipe créative.
Arshia avait une vision claire de ce qu’il voulait.

Arshia Shakiba (A. S.): Zaynê était la productrice exécutive. Elle a aussi encouragé mes idées, qui étaient difficiles à réaliser. Quand tu es dans un endroit dangereux comme celui où nous nous trouvions, quelque chose peut arriver à tout moment. Différents groupes contrôlent la région, il faut être prudent.
Nous avions beaucoup d’idées intéressantes et Zaynê disait toujours que nous pouvionsmême en faire plus, elle mettait un peu d’huile sur le feu (rires).

Q. L.: Comment l’idée de Who Loves the Sun est-elle née?

A. S : Nous sommes tombés par hasard sur l’endroit [où nous avons filmé]. À ce moment-là, j’avais un autre film en tête que je développais, un sujet sur les camps de réfugiés dans la région. Cet endroit, la raffinerie, était très spécial. Dès que j’y étais, beaucoup de questions me sont venues à l’esprit. Que se
passait-il là-bas ? Pour faire fonctionner une raffinerie, il faut des ingénieurs, beaucoup de machines compliquées, et ces gens ont tout appris sur le tas. Ils n’ont aucune formation sur le pétrole. Après trois jours de recherche, nous avons trouvé cet homme, Mahmood. Il était toujours autour de nous, attendant d’interagir avec les personnes que nous filmions. J’ai commencé à tourner avec lui, il était beauet charismatique, donc nous avons commencé à le suivre.


Q. L.: Comment avez-vous communiqué?

A. S : Nous ne parlions pas la même langue, c’était donc très particulier de le filmer. Nous n’avions pas de code, nous ne parlions pas de ce qu’il allait se passer. Les tâches à la raffinerie sont industrielles et répétitives. Après trois jours, je comprenais ce qui allait se passer, c’était comme une routine. Nous avons donc suivi Mahmood pendant deux semaines. Nous sommes restés très proches, nous nous envoyons régulièrement des photos de nos familles sur WhatsApp. Comme nous ne parlons pas la même langue, nous avons une conversation par emojis (rires).

La scène enfumée où l’on voit l’échappement de fioul est le seul moment où le soleil apparaît dans Who loves the sun. Capture d’écran extraite du film.

Q. L.: Pourquoi avoir choisi ce titre?

A. S: C’est une métaphore de l’environnement et de l’énergie. C’est aussi une référence à la résilience des gens qui se battent pour survivre. Who Loves the Sun [est un hommage] aux êtres humains, à notre nature.

Z. A.: Il n’y a pas de soleil non plus dans le film, même pendant la journée. En fait, nous avons
seulement une scène où nous le voyons, et c’est une scène enfumée d’échappement defioul (rires). Le titre Who Loves the Sun, c’est l’antagonisme de ce que montre le film.

Q. L. : Avez-vous eu rencontré des défis lors du tournage?

Z. A.: Beaucoup (rires). Par exemple, chaque fois que le drone s’élevait pour filmer, nous attirions l’attention. Des gens venaient, prenaient la caméra et nous emmenaient au poste de police. Nous devions appeler le responsable qui nous avait donné la permission; il venait, puis il se battait. Aussi, même si c’est une zone de guerre inactive, on y trouve beaucoup de cellules terroristes dormantes. Tout est plus difficile là-bas. Obtenir une permission est compliqué. Quand on se promènedans la rue, on ne sait pas à qui elle appartient… Rien n’est sûr, tout prend du temps et c’est un défi.

A. S.: Le Rojava est un No man’s land (une zone d’incertitude), chaque bulle a ses propres auto-
rités. Il y a aussi des pièges, dont nous avons surtout fait les frais sur le tournage de Rojek. Par
exemple, lors des premiers jours, dix minutes après avoir quitté le plateau, un sac a explosé.


Q. L. : Le choix d’un silence presque total est marquant, pourquoi avoir pris cette décision?

A. S. : C’était ma position, parce que je ne parlais pas arabe. Je voulais partager l’expérience d’être derrière la caméra avec le public. La meilleure façon pour cela était d’avoir des plans longs et larges, proches du sujet. Je ne suis pas un très bon conteur, quand j’écris le script, une fois qu’il est terminé, je m’en lasse.

Q. L. : Que pensez-vous des évènements qui se déroulent dans la région en ce moment ?

Z. A. : En 2014, je suis arrivée à peu près au moment où l’État islamique a attaqué la région. J’ai été très souvent en danger et j’ai dû fuir plusieurs fois. Même si l’Irak et le Kurdistan semblent sûrs quand tu y vas, car il ne se passe rien la plupart du temps, tu ne sais jamais. Dans la région, le peuple kurde paie le prix de son opposition à l’État islamique. Il le vit depuis dix ans, c’est beaucoup. Les Kurdes ont eu un grand rôle pendant la guerre, et maintenant, ils maintiennent toutes ces bombes à retardement en prison.

Q. L. : Comment ressort-on d’un tel tournage?

A. S. : C’est très difficile d’entrer au Rojava, il n’est pas possible de revenir pour obtenir une permission ou des subventions. Il faut être prêt, car c’est une région instable. Par exemple, le sujet que tu trouves à un moment donné pourrait ne pas être là lors de ton prochain voyage. Le voyage a donc été vraiment intense, nous ne nous arrêtions jamais.

Personne n’a jamais filmé ces raffineries, donc ouvrir la porte pour ce sujet a été vraiment spécial. Après un tel tournage, on n’est plus la même personne, on a l’impression de faire partie de l’histoire.

Crédit photo couverture : Matteo Mignani

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