Voyage libidinal aux confins de la masturbation intellectuelle

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Par Ariane Lelarge Emiroglou
mercredi 9 février 2011
Voyage libidinal aux confins de la masturbation intellectuelle

Qu’advient-il de la pornographie? Jusqu’à quel point s’immisce- t-elle dans notre sexualité, notre quotidien ? huit artistes abordent la question dans l’irrévérencieuse oeuvre collective Destricted. Contraction des expressions destruction et restriction, le titre promet une odyssée décapante.

Objectif de Destricted: abolir les frontières entre le porno et le cinéma. Magnifier la fabrication des films XXX et célébrer le désir charnel de ses consommateurs. Générer l’interpénétration du sensuel et du cérébral. Étudier le porno dans son langage et ses propres décors. Provoquer.

Pénis, french kiss et excréments

Gros plan sur un pénis violet, paisiblement étendu sur un ventre poilu parsemé de mousse végétale. Comme une énorme limace gisant sur un sentier de terre, après la pluie. La créature génitale est aussi indomptable que les fantasmes parfaitement illusoires de son propriétaire, un homme vert rêvant de s’unir à une machine. Cet être primitif nous fournit un miroir préhistorique de nos propres habitudes sexuelles. Son apparence ridicule a le mérite de faire sourire, tant le propos est décalé (Hoist de Matthew Barney).

Suivent plusieurs trouvailles esthétiques faisant écho à la fièvre sexuelle et à l’incandescence des pulsions animales. Green Pink Caviar, de Marilyn Minter, nous fait plonger dans un interminable et langoureux french kiss : bouche et langue malaxant diverses substances liquides, le tout plaqué contre la lentille de la caméra.  Dans Four Letter Heaven, Cecilia Brown nous emmène danser sur le rythme saccadé d’une succession de peintures représentant les ébats sexuels d’un couple. Le montage nerveux est réussi, mais l’exercice de style reste prisonnier de sa technique songée.

Nous voici à la croisée d’univers plastiques tantôt attirants, souvent abjects, qui jouent sur la fusion et la confusion, de corps et de sons, d’époques et de situations.

Plus classique, la réalisation sobre de The Cooking, du Brésilien Tunga, attire davantage l’attention sur le déroulement de l’action: le périple érotique d’un jeune couple blasé par les conventions sexuelles. Bien au-delà de la pénétration, ils découvrent un plaisir mystique dans le partage de leurs excréments, qui, après ingestion, ressortent sous forme de cristaux lumineux. Transformer la crasse en pierre précieuse symbolise une quête d’élévation sexuelle sur fond de dérive scatologique. Le sulfureux marquis de Sade et sa pensée libertine sont évoqués en filigrane dans ce conte malsain.

De cet assortiment inégal, se démarque l’oeuvre de Larry Clark, Impaled, mettant en vedette une brochette de jeunes mâles désirant faire du sexe avec une pornstar. À mi-chemin entre le documentaire et la téléréalité, Impaled souligne l’importance du cinéma porno dans la vie d’une génération de jeunes adultes guettés par les complexes (le pénis est souvent trop petit) et les critères d’apparence idéale (l’épilation est de mise). Heureux candidat qui obtient le privilège de baiser l’actrice de son choix. S’ensuit le passage à l’acte final. En réalisant son fantasme d’imposer ses règles à sa minette, le jeune homme explore bien malgré lui la condition des acteurs de porno. Accepter la loi de la caméra. Substituer le voyeurisme à l’intimité. En faire un exemple de sensualité. Les images sont crues : pas de musique, seulement des cadres bruts. Judicieuse mise en abîme d’un jeune branleur ébranlé.

Apprécier Destricted, c’est aimer cette masturbation nombriliste qui guette les adeptes de porno. Un pur produit de contagion narcissique, qui consiste à se tripoter les nerfs en solitaire.