Voir le monde à travers l’œil de la caméra

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Par Lucas Sanniti
samedi 1 juillet 2023
Voir le monde à travers l’œil de la caméra
Les flames dévastatrices de Paradis, réalisé par Alexandre Abaturov. | Courtoisie | Cinéma sous les étoiles
Les flames dévastatrices de Paradis, réalisé par Alexandre Abaturov. | Courtoisie | Cinéma sous les étoiles
Pour la 14e édition du festival Cinéma sous les étoiles, une variété de documentaires traitant d’enjeux sociaux seront projetés cet été dans plus d’une quinzaine de parcs de Montréal. Quartier Libre est allé à la rencontre Hubert Sabino-Brunette, responsable de la programmation, pour en savoir plus.

Quartier Libre (Q. L.) : Pour celles et ceux qui ne connaissent pas, qu’est-ce que le festival Cinéma sous les étoiles ?

Hubert Sabino-Brunette (H. S.-B.) : C’est une initiative citoyenne et artistique qui vise à amener le documentaire dans l’espace public. L’idée est de rendre accessibles gratuitement des œuvres qui ont un caractère social et politique. Il était aussi question d’accompagner ces projections de débats : chaque projection est accompagnée d’expertes ou de cinéastes impliquées pour permettre au public de creuser davantage les enjeux abordés et de poser des questions sur la manière dont les œuvres ont été créées.

Q.L.: Quels sont les thèmes habituellement explorés dans les documentaires et courts-métrages présentés dans le cadre du festival ?

H. S.-B. : On essaie d’aborder le plus d’enjeux possible. Des enjeux qui touchent précisément les gens d’ici, mais qui permettent aussi d’avoir une perspective sur ce qui se passe à l’étranger. Cette année, on a mis beaucoup l’accent sur l’environnement. C’est un enjeu incontournable que l’on voulait aborder de différentes façons, tant sur le plan de la crise climatique que de l’extractivisme et de l’écoféminisme. Cette volonté de dresser large un portrait des enjeux environnementaux nous a amenés à créer la Semaine de l’environnement, qui propose huit longs-métrages. On a aussi un partenariat avec la Biosphère en lien avec son exposition portant sur l’eau sous ses différentes formes.

Q.L.: Comment cette 14eédition se distingue-t-elle des éditions précédentes ?

H. S.-B. : Je dirais que c’est ce volet environnemental qui prend beaucoup de place cette année. C’est une édition qui amène également des enjeux d’identité avec des questions féministes, entre autres avec Le Mythe de la femme noire,mais aussi Relaxe, qui dépeint une résistance féministe contre un système judiciaire et policier comportant d’énormes failles.

Un autre facteur qui nous différencie cette année, c’est le nombre de primeurs que l’on est allés chercher, par exemple, le film d’ouverture Mon pays imaginaire de Patricio Guzmàn. On est assez contents de pouvoir présenter des primeurs au public de Montréal, mais on veut aussi mettre de l’avant des œuvres québécoises. On sait que les gens aiment ça et c’est important pour les cinéastes d’ici d’être vus par différents publics. Chaque film québécois présenté cet été sera accompagné par le ou la cinéaste qui l’a réalisé. Ça, c’est très précieux.

Q.L.: Qu’est-ce qui a guidé vos choix pour la programmation de cette année ?

H. S.-B. : On essaie de trouver les films les plus pertinents pour aborder les enjeux que l’on trouve importants. C’est aussi important de coller à l’actualité, de donner un peu de perspective à ce qui nous entoure. Par exemple, on a un film à la fois extrêmement fascinant et effrayant, Paradis, qui porte sur une communauté iakoute, en Sibérie. Elle est laissée à elle-même devant des feux de forêt incroyables, parce que le gouvernement russe juge que les dommages infligés au territoire sont trop graves pour investir l’énergie et l’argent nécessaires pour combattre les feux. Voir qu’il y a des feux de forêts immenses dans ce coin-là, qu’on associe au froid hivernal, fait malheureusement écho à ce que l’on vit au Québec présentement. Au moment de sélectionner le film, on ne pouvait pourtant pas deviner qu’il allait y avoir des feux de forêts aussi immenses au Québec cette année.

Q.L. : Quels sont les moments forts de cette programmation ? Quelles sont les œuvres qui risquent d’attirer l’attention ?

H. S.-B. : C’est difficile de choisir, mais c’est certain que la projection de Haute tension à Chinatown représente pour moi quelque chose de vraiment important. Ce film dresse un portrait assez inquiétant de la disparition graduelle, mais très rapide, des quartiers chinois en Amérique du Nord. La spéculation immobilière, le racisme et d’autres enjeux poussent des communautés chinoises à quitter leur quartier, ce qui crée aussi une perte d’identité pour les villes.

C’est assez rare d’avoir des projections dans les lieux directement concernés par les enjeux des films, et celui-là sera présenté directement dans le quartier chinois de Montréal, en partenariat avec la communauté en place. Il servira aussi de lieu de rencontre et de discussion pour mieux comprendre la réalité de ces gens, et tenter de trouver des solutions collectives par rapport à ces enjeux.

Un enfant jouant parmi les ruines dans Haute tension à Chinatown, réalisé par Karen Cho. | Courtoisie | Cinéma sous les étoiles

 

Q.L. : Le festival présente des œuvres de cinéastes des quatre coins du monde. Pourquoi est-il important pour vous de présenter une telle diversité de points de vue portant sur des questions d’ordre humanitaire ?

H. S.-B. : Voir ce que les cinéastes de différents pays ont envie de nous dire sur leur situation constitue quelque chose de central pour notre festival. On a un film brésilien intitulé Rejeito, réalisé par un cinéaste du pays, qui nous montre la réalité locale. On n’amène pas un point de vue nord-américain ou européen pour extraire des images et des narratifs de ces régions-là. On veut vraiment avoir des points de vue différents sur le monde. Ça permet de développer un esprit critique par rapport aux bribes d’information que l’on attrape rapidement dans les journaux, la télévision et les réseaux sociaux. Là, on a un documentaire de 90 minutes qui nous amène à l’intérieur d’un récit et nous permet de voir le monde à travers les yeux d’autrui, d’éliminer les œillères que l’on porte, volontairement ou pas.

Arrêt sur image du film Rejeito, réalisé par Pedro De Filippis. | Courtoisie | Cinéma sous les étoiles

 

Q.L.: En quoi le format documentaire se prête-t-il à la narration de telles histoires comparativement au cinéma de fiction ?

H. S.-B. : Les deux se valent totalement. Je pense que l’une des particularités du documentaire, c’est que l’on a affaire à de vraies personnes, donc il y a quelque chose du ressort de l’émotion qui peut s’installer. On sait aussi que c’est une partie de vérité perçue à travers le point de vue subjectif d’un cinéaste, nous ne sommes pas dans l’objectivité. Avoir accès à cette réalité-là, c’est très fort.

Q.L. : Quelle expérience souhaitez-vous que le public retienne de son visionnement cette année ?

H. S.-B. : J’aimerais qu’il retienne cette idée de collectivité devant un film. On regarde de plus en plus des œuvres seuls à la maison, sur nos petits écrans. Pouvoir aller à l’extérieur et voir d’autres personnes regarder un film en même temps que nous, voir leurs réactions et les discussions qui suivent après, c’est extrêmement important. On veut que ce soit convivial, et que les gens se sentent bien de venir assister à nos activités.