Les conclusions de l’étude, qui s’est échelonnée sur une dizaine d’années, ont été reprises dans l’ouvrage collectif La pluralité religieuse au Québec, dirigé par la professeure Deirdre Meintel et publié aux Presses de l’Université de Montréal en décembre dernier. Au cours de cette décennie de recherche, elle et ses 70 auxiliaires ont dénombré pas moins de 230 groupes religieux ou spirituels sur le territoire québécois.
Mais au-delà du décompte, la recherche a aussi mis le doigt sur un tabou bien présent en relation avec à la religion, comme le démontre une anecdote rapportée par Mme Meintel. « L’un de nos auxiliaires, dans la région du Saguenay, est allé étudier un nouveau groupe évangélique pour notre projet de recherche, explique-t-elle. Et il a été étonné d’y retrouver des gens de sa propre famille ! »
Pour la professeure, nul doute qu’une particularité québécoise, un héritage de la Révolution tranquille, est à l’œuvre dans cette réserve vis-à-vis de l’expression religieuse. L’étudiant en première année à la maîtrise en musique à l’UdeM Godwin Friesen, également membre du Groupe biblique universitaire de l’UdeM, abonde en ce sens. « Je suis anglophone, je viens de l’ouest du Canada, témoigne-t-il. Je me suis renseigné sur la Révolution tranquille et j’ai compris que le Québec a un rapport différent à la religion qu’ailleurs au Canada. Quand je dis que je fais partie d’une église, beaucoup de gens ici sont surpris. »
« Étrangement, nos recherches ont démontré que cette discrétion ne s’exerçait pas seulement dans la sphère publique, au travail par exemple, mais aussi dans le privé », déclarait à ce sujet Mme Meintel à UdeMNouvelles, le 23 février dernier.
État des lieux sur le campus
Aucune statistique n’est disponible au sujet de la diversité religieuse chez les étudiant·e·s de l’UdeM. L’Université, qui est un établissement laïque depuis 1965, ne recueille pas ce type d’information au moment de l’inscription. Autre lieu, autres mœurs : les universités ontariennes, à l’inverse, demandent aux nouveaux·elles inscrit·e·s d’identifier leur appartenance religieuse afin de garder le cap sur leurs objectifs de diversité.
Dans le portrait officiel de la diversité religieuse sur le campus udemien, on compte seulement trois regroupements étudiants religieux. Ils représentent les trois grandes religions monothéistes : chrétienne, musulmane et juive. L’Université Concordia, à titre de comparaison, compte une dizaine d’associations religieuses, également juives, chrétiennes et musulmanes, mais aussi sikhes et bouddhistes, entre autres.
Mme Meintel ne croit pas qu’on puisse en conclure pour autant que les étudiant·e·s de l’UdeM sont moins spirituel·le·s. « La frontière entre religion et non-religion est très floue », nuance la professeure. La question a d’ailleurs dû être posée dans le cadre de sa recherche. Elle-même a ainsi inclus, dans son portrait de la diversité religieuse au Québec, certaines formes de spiritualité comme celles rattachées au yoga.
« Les étudiants sont davantage en phase d’exploration, explique-t-elle pour justifier l’idée selon laquelle les plus jeunes seraient moins attaché·e·s à la religion. À cet âge, on n’est peut-être pas prêt à assumer telle ou telle identité religieuse. Le sentiment d’appartenance, aujourd’hui, semble désuet pour beaucoup de monde.?»
Pratiquer sa foi, un défi pour les étudiant·e·s
Pour celles et ceux qui souhaitent vivre ouvertement leur foi à l’Université, certains défis peuvent se présenter, comme dans la société en général. « Quand je suis arrivé à l’Université, j’ai mentionné à une personne que j’allais à l’église le dimanche, se remémore Godwin. Après dix minutes, cette personne a réalisé que je n’y allais pas en tant que touriste, mais que j’y allais vraiment dans un contexte religieux. »
Ainsi, c’est tout un climat, fait d’incompréhension ou de propos dénigrant la religion en général, qui peut pousser certaines personnes à se faire plus discrètes sur le sujet, explique la professeure d’anthropologie. « Il y a une tendance, chez certains professeurs d’université, à dénigrer le religieux implicitement ou explicitement », poursuit-elle. Certain·e·s de ses étudiant·e·s lui ont fait part de situations gênantes vécues par rapport à leur identité religieuse.
« Parfois, les attitudes exprimées par d’autres, qui ne reflètent pas nécessairement ce qu’ils pensent, mais plutôt un réflexe, peuvent créer une atmosphère ou une personne croyante ne voudra pas s’afficher », soutient Godwin.
« Il est possible que certains étudiants musulmans perçoivent une stigmatisation ou des préjugés envers leur religion », affirme la vice-présidente humanitaire et communautaire de l’Association des étudiants musulmans de l’UdeM (AEMUM), Selsabil Hamiham.
Elle mentionne notamment la manifestation sur le campus de jugements liés à la Loi 21, qui interdit depuis 2019 le port de signes religieux à certain·e·s employé·e·s de l’État, dont les enseignant·e·s. « Des témoignages ont été recueillis de la part d’étudiantes en enseignement, qui ont signalé des changements de comportement chez leurs collègues de classe depuis l’adoption de cette loi?», précise-t-elle.
Shlomo Banon, le rabbin du centre Chabad de l’UdeM pour les étudiant·e·s de confession juive, révèle avoir vécu des situations similaires en dehors de l’Université. « J’étais en route pour le Chabad ; une femme m’a arrêté pour me dire : « Il va y en avoir plus des comme vous maintenant, dans le quartier ? », se souvient-il. Je lui ai répondu calmement. Je l’ai invitée à venir au Chabad, pour qu’elle voie ce qu’on fait. »
Aucun espace consacré à la spiritualité
L’UdeM ne compte pas non plus d’espace dédié au recueillement spirituel pour ses étudiant·e·s. « Aucun espace n’est réservé aux gens qui cherchent quelques minutes pour prier, méditer, pour rester calme, à tout le moins, dans mon pavillon, explique Mme Meintel. C’est un peu particulier. »
C’est un problème pour des étudiant·e·s musulman·e·s, par exemple, qui prient jusqu’à cinq fois par jour, et qui aimeraient avoir un espace personnel pour pratiquer leur religion. « J’avais une étudiante musulmane diplômée qui a dû me demander si elle pouvait utiliser mon bureau pour prier », ajoute la professeure. « Bien sûr, ça serait bienvenu?! » confirme l’étudiant musulman en troisième année au baccalauréat en sciences biomédicales Yahya Zejli.
« Les étudiants musulmans peuvent éprouver des difficultés à trouver un endroit approprié pour prier pendant les heures de classe ou les périodes d’étude », affirme Selsabil Hamiham. C’est d’ailleurs un enjeu qui mobilise l’AEMUM depuis plusieurs années, indique-t-elle. « Les universités anglophones, l’UQAM, et même les cégeps, disposent d’une salle de prière et d’un local pour les étudiants musulmans. »
Plus largement, ces constats témoignent de la place de la spiritualité à l’Université, selon Mme Meintel. « On donne le cours Méditation et pleine conscience à la Faculté de médecine, mais il n’y a pas d’endroit dédié à une telle pratique sur le campus à ma connaissance, affirme-t-elle. Ce n’est pas nécessairement religieux, mais c’est d’inspiration spirituelle. »