La mort récente de Claude Chabrol me vient à l’esprit comme une métaphore de l’agonie du cinéma. Perte d’idéaux et d’idées rassembleuses autour desquels des cinéastes se resserrent : C’est ce que Chabrol dénonçait à la fin des années 1950, à l’époque où lui et ses collègues des Cahiers du cinéma fondaient la Nouvelle Vague, et c’est ce qui n’est plus.
Lorsqu’on le regarde sous tous ses angles, par rapport au passé, le cinéma semble perdu, comme égaré ; il tente d’évoluer au rythme de la société, de changer selon les moeurs des individus, de s’adapter aux modes en vigueur, alors que cela devrait être le contraire. Certes, il y a encore de grands cinéastes, comme il y en a eu, depuis les débuts, ou presque, de l’art cinématographique : Bela Tarr, Michael Haneke, Apichatpong Weerasethakul, Roy Anderson, pour n’en nommer que quelques-uns. Ancrés dans leur époque, ces réalisateurs présentent une vision personnelle du cinéma et du monde qui les entoure. Double préoccupation, qui les rend tous à la fois pertinents et incontournables puisque leurs films nous font grandir, évoluer.
Au-delà, on s’aperçoit que le cinéma stagne, dort d’un profond sommeil. Il lui manque de la jeunesse, de l’insouciance, et ce que la Nouvelle Vague a autrefois permis, c’est justement cette envie de tout recommencer, de remettre en question ce qui a été fait, partir de ce questionnement et faire comme on veut, comme on le sent. Et ce que donne cette liberté totale, c’est justement la possibilité de déstabiliser l’ordre, de le modifier, en groupe, en ne se préoccupant que de l’originalité de l’oeuvre à faire. Rien de tout cela aujourd’hui, un demi-siècle plus tard : pas de post-Nouvelle Vague, pour le dire un peu maladroitement. Ce manque n’est-il pas lié à une nouvelle perception que l’on a du cinéma ? Cette absence du besoin de s’affranchir des normes de production, économiques et artistiques, cela ne vient-il pas d’une certaine conception contemporaine du cinéma, liée au besoin de divertir, d’être à la fois populaire et accessible ?
Les grands moments de l’histoire du cinéma sont survenus lorsque des cinéastes se sont sentis liés entre eux d’une quelconque manière, à l’encontre de ces normes, qu’il s’agisse du néo-réalisme italien après 1945 ou de toutes les nouvelles vagues à partir de 1960 (en France, en Europe de l’Est, en Allemagne). Comme disait Jean-Luc Godard, il fut un moment où on croyait que le cinéma pouvait changer le monde, mais ce moment est maintenant passé. Et il est révolu, probablement, parce qu’on ne voit plus de courant qui désire redonner au cinéma ce rôle qu’il a autrefois possédé. Le cinéma, présentement, donne une impression de fatigue.
Il y a cet homme, Godard justement, qui peine, depuis si longtemps maintenant, à le réveiller. Reclus et solitaire, isolé dans sa maison en Suisse, il poursuit son travail sur les thèmes qu’il n’a jamais quittés : le rapport de l’artiste à sa création et le rapport du spectateur à l’image. Il montre ainsi le chemin, ce nouveau chemin que pourrait prendre le nouveau cinéma, mais personne ne semble plus l’écouter, car il y a une exigence à composer avec cette auto-réflexivité que Godard affectionne. Il continue donc d’errer seul, filmant des images que l’on ne veut pas regarder, murmurant des mots que l’on ne veut pas entendre : « Il y a le visible et l’invisible. Si vous ne filmez que le visible, c’est un téléfilm que vous faites. » Si l’on s’en donnait la peine, on verrait probablement apparaître, sous nos yeux, ce cinéma qui n’existe pas encore.