Le début de la fin pour l’Université Bishop’s ?

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Par William Hamelin
mardi 12 décembre 2023
Le début de la fin pour l’Université Bishop’s ?
Manifestation contre la hausse des frais de scolarité, le 30 octobre. Pour la présidente du BUSRC, des parents encouragent leurs enfants à venir étudier à l’Université Bishop’s en raison du sentiment de communauté. Courtoisie : Rene Zeevat
Manifestation contre la hausse des frais de scolarité, le 30 octobre. Pour la présidente du BUSRC, des parents encouragent leurs enfants à venir étudier à l’Université Bishop’s en raison du sentiment de communauté. Courtoisie : Rene Zeevat
Depuis l’annonce de la hausse des frais de scolarité pour les étudiant·e·s canadien·ne·s non québecois·e·s, l’association étudiante de l’Université Bishop’s a lancé plusieurs cris du cœur pour demander au gouvernement de la province de reconsidérer sa décision. Pour cause, ce changement pourrait menacer l’existence de l’établissement universitaire anglophone des Cantons-de-l’Est.

En octobre dernier, le gouvernement provincial a annoncé que dès l’automne 2024, les frais de scolarité annuels des étudiant·e·s canadien·ne·s provenant de l’extérieur du Québec passeront de 8 992 $ à 17 000 $. Un tarif plancher de 20 000 $ sera aussi imposé aux étudiant·e·s étranger·ère·s.  Le ministère de l’Enseignement supérieur percevra également un montant forfaitaire de la part des universités pour chaque étudiant·e non québécois. Les établissements conserveront le droit de facturer une somme additionnelle aux étudiant·e·s à leur entière discrétion.

Cette annonce a fait réagir le principal et vice-chancelier de l’Université Bishop’s, Sébastien Lebel-Grenier. Il pense que cette hausse des frais de scolarité va avoir un impact « catastrophique » sur son établissement et que cette décision constitue une « menace existentielle » pour celui-ci.

Près du tiers de la population étudiante de l’Université provient des autres provinces canadiennes. Celle-ci craint ainsi une perte massive de ces étudiant·e·s si elle doit doubler les frais de scolarité de ses futures cohortes.

La présidente du Conseil représentatif des étudiants de l’Université Bishop’s (Bishop’s University  Students’Representative Council ou  BUSRC), Sophia Stacey, et ses collègues ont été attristés d’apprendre la  nouvelle.

Elle révèle que des étudiant·e·s de première et de deuxième année sont venu·e·s lui faire part de leurs inquiétudes. « Est-ce que d’autres mesures sont à venir ? Dois-je envisager de changer d’université si ça devient de plus en plus contraignant d’étudier ici ? » rapporte la présidente afin d’illustrer quelques-unes de leurs préoccupations.

Le BUSRC a ainsi lancé une pétition avec l’Union étudiante du Québec (UÉQ) afin d’annuler cette hausse. Mme Stacey espère récolter 30 000 signatures. Au moment d’écrire ces lignes, la pétition a amassé plus de 32 000 signatures.

La présidente de l’UÉQ, Catherine Bibeau-Lorrain, affirme que cette augmentation est « déraisonnable ». Selon elle, plus personne ne viendra étudier au Québec si des frais de scolarité de 17 000 $ sont exigés chaque année.

 

Une importante perte régionale

Aussi étudiante à double spécialisation en psychologie clinique et en sciences politiques, Sophia Stacey estime que la région des Cantons-de-l’Est a beaucoup à perdre si l’Université Bishop’s venait à disparaître. Selon elle, la communauté étudiante permet de soutenir l’économie touristique des municipalités de Lennoxville et de Sherbrooke. « Il y a des parents et des grands-parents, qui, 20 à 40 ans plus tard, encouragent leurs enfants à aller étudier à Bishop’s en raison de l’expérience qu’ils y ont eue », témoigne Mme Stacey, originaire de l’Alberta. Sans cette présence étudiante, la survie de plusieurs petites entreprises locales pourrait être menacée.

La propriétaire de la pâtisserie Bekkah, Rebekkah Gallagher, dont le commerce est situé à 10 minutes de marche du campus, confirme qu’il y a de fortes chances qu’elle mette la clé sous la porte si l’Université ferme.

Sa clientèle se compose d’environ 40 % d’étudiant·e·s qui proviennent de l’établissement d’enseignement. Elle précise également que seulement un·e de ses employé·e·s n’est pas aux études.

Mme Gallagher reçoit aussi souvent des commandes de gâteaux pour souligner la période de délivrance des diplômes. Des parents d’étudiant·e·s lui écrivent également par courriel pour la remercier des services qu’elle offre à leurs enfants.

 

Pour sauver le français

Le gouvernement justifie cette augmentation en avançant qu’elle freinera le déclin du français, en particulier à Montréal. Pour Mme Bibeau-Lorrain, lier la question des frais de scolarité à celle de la langue « ne tient pas la route ».

Elle précise que lorsque les Canadien·ne·s venant de l’extérieur du Québec décident de rester dans la province après leurs études, ils s’enracinent dans la société québécoise et apprennent le français. Dans le cas contraire, ils retournent dans leur province et ne détériorent donc pas la situation de la langue.

 

Selon le professeur Pier-André Bouchard St-Amant, l’idée selon laquelle le Québec se fait voler les talents par le reste des provinces peut tout aussi bien s’appliquer dans le sens inverse. Illustration : Emily Junca

 

L’ancien étudiant en finance à l’Université Bishop’s, Alec Neely, abonde dans le même sens. Lors de ses années d’études, il avance que plusieurs de ses ami·e·s non québécois·es se sont acclimaté·e·s. « Quand ils viennent au Québec, et particulièrement à Sherbrooke, ils comprennent que tout le monde parle français et qu’ils doivent s’adapter », souligne-t-il.

 

Choisir son cheval de bataille

La ministre de l’Éducation supérieure, Pascale Déry, met également en avant le rééquilibre du financement entre les universités francophones et anglophones de la province.

Le professeur de finances publiques à l’École nationale d’administration publique (ÉNAP) Pier-André Bouchard St-Amant explique qu’en matière de financement public, les deux réseaux linguistiques sont théoriquement financés de manière équitable. C’est sur le plan des subventions et des dons privés que les universités anglophones cumulent plus d’argent que les établissements francophones.

M. St-Amant précise que si la hausse des frais de scolarité pour les étudiant·e·s canadien·ne·s non québécois·e·s en a surpris plus d’un·e, c’est parce que le sujet n’a aucunement été évoqué lors du comité consultatif sur l’accessibilité financière aux études.

Cette consultation publique a été lancée au printemps dernier par Mme Déry et vise à proposer des pistes de réflexion pour remanier la formule actuelle du financement des universités québécoises.

La ministre a déclaré vouloir réparer les « erreurs » commises par l’instauration de tarifs préférentiels pour attirer au Québec des étudiant·e·s canadien·ne·s et étranger·ère·s.  Ces mesures ont été instaurées graduellement par le gouvernement libéral de Jean Charest et, plus tard, par celui de Philippe Couillard.

Pour Mme Bibeau-Lorrain, cette justification « n’avait pas de sens et semblait un peu improvisée sur le tas ». Elle et Mme Stacey espèrent que le gouvernement finira par revenir sur sa décision.

De son côté, M. St-Amant pense que le gouvernement doit bien choisir le message qu’il veut faire passer. « Est-ce qu’il veut financer les établissements francophones ou est-ce qu’il veut revitaliser le français à Montréal ? soulève-t-il. Selon la réponse du gouvernement à cette question-là, ce n’est pas du tout la même politique de frais de scolarité qui devrait être mise de l’avant. »

Le professeur ajoute que le gouvernement pourrait mettre en place des mesures d’exception pour l’Université Bishop’s, qui se situe à l’extérieur de Montréal. Il précise toutefois qu’une justification valable doit être apportée pour éviter la discorde avec les autres universités anglophones.