Une semaine qui dure, qui dure…

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Par Andreanne Chevalier
mardi 7 février 2012
Une semaine qui dure, qui dure...
Gabrielle, 30 heures de service par semaine. Quand concilier études et travail devient du sport. Courtoisie Gabrielle Rondy
Gabrielle, 30 heures de service par semaine. Quand concilier études et travail devient du sport. Courtoisie Gabrielle Rondy

Travailler et étudier a ses limites. Le temps que consacrent les étudiants à leur emploi rémunéré progresse de façon inquiétante, révèle une étude de la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ). Études et job cumulées, les étudiants travailleraient plus de neuf heures par jour, sept jours sur sept. Une réalité qui a des conséquences sur les résultats scolaires, l’allongement des études, le décrochage, l’endettement, et que l’augmentation des frais de scolarité risque d’aggraver.


Gabrielle, 30 heures de service par semaine. Quand concilier études et travail devient du sport. Courtoisie Gabrielle Rondy

« L’étudiant devient un travailleur, s’inquiète Martine Desjardins, présidente de la FEUQ. Il faut s’assurer qu’il reste un étudiant avant tout. » Selon l’étude parue le 18 janvier, les étudiants à temps plein ont consacré en moyenne 19 heures par semaine à un travail rémunéré au cours du trimestre d’automne 2009. Près de 42 % de ceux qui sont inscrits à temps plein travailleraient plus de 20 heures par semaine. Il s’agirait d’une hausse de 30 % du taux d’emploi en cours d’année scolaire depuis la fin des années 1970. Additionnées au temps qu’ils doivent consacrer à leurs cours et à leurs travaux, les 19 heures de travail rémunéré hebdomadaire portent à 64 heures par semaine la période d’activité des étudiants.

Face à cette réalité, « c’est surtout la gestion du temps qui pose problème, affirme Diana Ramirez, coordonnatrice du secteur Soutien à l’apprentissage au Centre étudiant de soutien à la réussite (CÉSAR) de l’Université. Une semaine de productivité normale, c’est 40 heures de travail. Au-delà, l’étudiant doit couper quelque part, dans le sommeil, les loisirs, les sports. Cela entraîne un déséquilibre.» Mme Ramirez ajoute que « le stress et l’anxiété peuvent augmenter à cause du manque de temps et de la fatigue ».

Des structures à réformer

L’étude de la FEUQ recommande de modifier le programme de l’Aide financière aux études, qui ne correspond plus à la réalité. Par exemple, le revenu que les étudiants peuvent gagner sans voir diminuer leur aide financière demeure inchangé depuis 2004. D’un montant qui représentait alors 15 semaines de travail au salaire minimum, il ne correspond plus qu’à 11 semaines maintenant.

« On se trouve dans un cul-de-sac à cause de l’augmentation des frais », signale Martine Desjardins, présidente de la FEUQ. La hausse des frais de scolarité exigerait à elle seule cinq semaines de travail de plus par année. « On pousse les étudiants à travailler plus pour combler leurs besoins de base, à savoir le logement, la nourriture, les vêtements, les frais de scolarité. L’étudiant ne va pas se payer du luxe », précise la présidente de la Fédération.

Selon Esther Chouinard, attachée de presse du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, « le gouvernement doit vérifier si les recommandations faites dans l’étude de la FEUQ correspondent aux bonifications prévues au programme de l’AFE annoncées à l’automne ».

Pour Éric Martin, chercheur à l ’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS), « il n’y a aucun bon côté à travailler pendant ses études. Ça nuit à la capacité de faire les travaux et ça mine les conditions d’étude. » Le chercheur est persuadé que ce fardeau dissuade les étudiants de choisir le programme qu’ils désirent suivre, au profit de programmes plus rentables. « On assiste à l’arrimage des institutions d’enseignement aux entreprises et à l’économie. On s’en va vers une université commerciale. Il faut résister à ça. Il faut s’opposer à la hausse des frais de scolarité », conclut-il.

 

Étudiants menés au surmenage

Josée, 24 ans, baccalauréat par cumul de certificats en relations publiques, publicité et journalisme

Aux études à temps plein de Josée s’ajoutaient des semaines de 40 heures de travail rémunéré. « Je voulais terminer mes études le plus rapidement possible, pour arriver sur le marché du travail rapidement. Je dormais entre quatre à six heures par nuit. J’ai dû me mettre énormément de côté. J’ai pris 10 livres, parce que je ne faisais rien d’autre qu’être assise et travailler. Je ne m’alimentais pas bien, puisque je n’étais jamais chez moi. »

Gabrielle, 25 ans, baccalauréat en histoire de l’art

Durant ses études, Gabrielle a travaillé comme serveuse 30 heures par semaine en moyenne. « Si je n’avais pas travaillé, j’aurais été obligée d’avoir des prêts et bourses. J’aurais eu 15000 $ de dettes. Ça ne te tente pas d’avoir 15 000 $ de dettes avec un baccalauréat en histoire de l’art. » Avec une charge de cours à temps plein, il ne reste pas beaucoup de temps. « Au moins, mon travail, c’était comme une activité sociale. Je n’avais pas besoin de sortir. » Autres bons côtés du travail ? «Ça m’organisait. Je ne pouvais pas procrastiner.»

Marie-Christine, 21 ans, étudiante en enseignement en adaptation scolaire

« Je ne travaille pas cette session-ci, mais j’ai commencé à travailler au cinquième secondaire, jusqu’à mes deux premières années de baccalauréat. J’étais serveuse. » Au cégep, Marie-Christine était inscrite en sciences de la nature. « Travailler pendant mes études a eu un effet sur mon rendement scolaire. Ma cote R n’était pas très bonne, parce que je n’avais pas assez de temps pour étudier. Si j’avais voulu poursuivre à l’université en santé, je n’aurais pas pu. » Depuis qu’elle ne travaille plus pendant ses études, Marie-Christine a vu sa qualité de vie s’améliorer. « Je vois plus mes amis. Je peux aussi faire mon ménage! »

Émilie, 27 ans, étudiante à la maîtrise en anthropologie

Émilie travaille comme serveuse entre 15 et 20 heures par semaine. « Quand j’étais au baccalauréat à temps plein, je travaillais de 20 à 25 heures par semaine. C’est un de mes profs qui m’a fait prendre conscience que je travaillais trop, raconte-t-elle. Je n’étudiais pas plus que ce qu’il fallait. Je passais plus de temps à travailler qu’à faire mes devoirs. Des fois, je dormais dans mes cours. J’ai eu une moyenne «moyenne», juste assez pour entrer à la maîtrise. » Émilie croit qu’elle n’aurait pas pu faire autrement. « Mes parents ne pouvaient pas m’aider financièrement et je n’ai jamais eu de bourse. J’avais le minimum de prêts, juste assez pour payer mes frais de scolarité. Malgré toutes ces heures travaillées, je me suis quand même endettée. »

Louis-Bernard, 22 ans, étudiant en enseignement au secondaire

Louis-Bernard cumule ses études à temps plein à un emploi de commis dans une fromagerie. Il y travaille 16 heures par semaine. « C’est vraiment le maximum d’heures de travail que je peux faire. » Il avoue couper dans ses heures de sommeil, surtout la fin de semaine où il devrait récupérer. Il ne croit pas cependant que son travail nuit beaucoup à ses études. « Ça me force à étudier la semaine. Si je ne travaillais pas, je consacrerais le même temps à mes études. » Un peu plus de temps libre lui permettrait d’être plus actif dans la société. « Ce que je trouve dommage en travaillant, c’est que je ne peux pas m’impliquer dans la vie étudiante. Je le ferais si j’avais plus de temps. »