Une plume méritante

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Par Caroline Bertrand
mercredi 9 avril 2014
Une plume méritante
sarah desrosiers, qui fait de la danse classique, estime que l’écriture est sa façon de créer sa propre rythmique. (crédit photo : Isabelle Bergeron)
sarah desrosiers, qui fait de la danse classique, estime que l’écriture est sa façon de créer sa propre rythmique. (crédit photo : Isabelle Bergeron)

L’étudiante à la maîtrise en création littéraire à l’UdeM Sarah Desrosiers a raflé le Prix de la nouvelle Radio-Canada pour son œuvre Un entrefilet. Cette incursion dans le quotidien d’une dame âgée livrée à elle-même a enchanté les membres du jury.

C’est dépourvue de toute attente que Sarah Desrosiers s’est inscrite au concours, deux ans après avoir été finaliste avec sa nouvelle littéraire L’indécence. «Cette année, je pensais qu’Un entrefilet pouvait fonctionner pour le Prix de la nouvelle, se remémore-t-elle. Je me disais que j’allais être déçue, mais que je le ferais quand même.»

Cette victoire s’avère fortifiante pour la passionnée d’écriture. «C’est une tape dans le dos, une espèce de légitimité de l’extérieur, pense-t-elle. Comme si on me disait : “c’est correct, continue, tu as quelque chose à dire, tu as le droit d’essayer d’écrire.” »

Sarah rédige Un entrefilet lors du séminaire de création Écrire le réel de la professeure adjointe au Département des littératures de langue française Claire Legendre. Dans le cadre de cette rencontre, les étudiants s’inspiraient du thème du fait divers. «Les petits faits divers dans les journaux — des entrefilets — portent parfois sur une personne âgée décédée dans la solitude, comme si l’univers avait oublié son existence, remarque Sarah. J’avais envie d’en parler.»

Le personnage de la vieille dame n’a pas tardé à se profiler. «Elle était bien définie, je savais ce qu’elle dirait, se rappelle Sarah. J’ai dû songer à son quotidien, à ses réflexions. Une amie m’a dit que nous portons tous cette dame-là en nous. J’ai interrogé la mienne.»

Des éloges unanimes

L’auteure québécoise de polars Chrystine Brouillet fait partie des membres du jury pour ce Prix de la nouvelle Radio-Canada. «Remplie d’humanité, cette nouvelle contient de la lumière malgré son constat lucide de la difficulté qu’éprouvent les êtres humains à communiquer leurs déceptions et leurs espoirs», estime-t-elle.

Le directeur de la maison d’édition québécoise Alto, Antoine Tanguay, également membre du jury, ne tarit pas non plus d’éloges au sujet d’Un entrefilet. « On s’entendait tous sur la maturité et le caractère touchant du texte, dit-il. Sarah a un sens du rythme et fait le tour de son sujet sans vouloir englober trop de choses. À travers cette anecdote subtile et très bien ficelée, elle pose un regard sur la solitude qui nous touche et nous rejoint. »

La directrice de maîtrise de Sarah, la professeure Claire Legendre, apprécie le choix de ce sujet. «Elle pose un regard sensible sur l’altérité, affirme-t-elle. Le texte est brillant et extrêmement bien écrit.»

Chrystine Brouillet se réjouit quant à elle des multiples lectures possibles d’Un entrefilet. « Sa nouvelle comporte plusieurs angles, j’aime cette ambiguïté, relève-t-elle. Son écriture, prometteuse, est dénuée de coquetterie inutile, un écueil à l’écrit».

L’écriture constitue le médium de prédilection de Sarah Desrosiers, qui fait également de la danse classique. «En dansant, j’interprète le matériel du chorégraphe, je suis plus comme un instrument, et j’aime cela, raconte Sarah. Mais l’écriture, c’est ma façon de créer ma chorégraphie.»

Une écriture prometteuse

Le genre littéraire de la nouvelle préserve pour l’instant Sarah de la pression que représenterait à ses yeux un texte à plus long déploiement. «En approfondissant un détail, une microidée, je me sauve de développer le personnage, de m’investir du souffle, de l’élan que requiert un long texte, reconnaît-elle. Derrière le trou de serrure de la nouvelle se trouve tout de même un univers plus vaste, dont les auteurs ne négligent pas l’épaisseur. Une vraie nouvelle, c’est un long métrage.»

Dans le cadre de sa maîtrise, Sarah se contraint à travailler l’écriture à la deuxième personne du pluriel, ce qui sied très bien à sa nouvelle selon Claire Legendre. «Une empathie se crée presque immédiatement, souligne-t-elle. On ne s’identifie pas au personnage, mais à l’empathie de l’auteure pour le personnage.»

Antoine Tanguay salue la dextérité de l’étudiante à manier la deuxième personne. «C’est techniquement très habile, dénote-t-il. Il y a une justesse du ton, elle ne pousse pas le drame, le pathos, un défaut, en nouvelle.»

La fibre littéraire de Sarah continuera à vibrer. «Mon ambition est d’écrire, de continuer à trouver ma voie, ce que j’ai à dire et comment je veux le dire », conclut-elle. Les férus de littérature auront peut-être un jour le loisir de la découvrir dans une librairie près de chez eux.

CARACTÉRISTIQUES D’UNE BONNE NOUVELLE
• camper rapidement une situation. «Happer immédiatement le lecteur est tout un art », croit l’écrivaine chrystine brouillet ;
• imposer rapidement le ton;
• écrire avec subtilité, efficacité et concision. «Il faut arriver à faire voir quelque chose de précis, en peu de mots», soutient la professeure claire Legendre;
• Faire résonner les nouvelles d’un recueil entre elles. «Une nouvelle seule est un écho lancé à d’autres », relève l’éditeur d’alto antoine tanguay;
• Fignoler la chute. «C’est un moment qu’on n’oublie pas, une impression qui reste », estime M. tanguay.