Le 6 octobre, à la grande surprise de la population tunisienne, le quartet Dialogue national tunisien a reçu le prix Nobel de la paix. Ce regroupement, né en 2013 et constitué de quatre groupes de la société civile, devait aboutir à un dialogue national entre les islamistes et leurs opposants afin de trouver une issue au climat politique instable. La jeunesse tunisienne a été porteuse de la révolution du jasmin en 2011, mais semble aujourd’hui peiner à trouver sa place.
« En 2011, les jeunes étaient remplis d’espoir, souligne le jeune diplômé en gestion à l’UQAM et Tunisien établi depuis quatre ans à Montréal, Hassen Basly. Aujourd’hui, cet espoir s’estompe peu à peu. Les résultats concrets des manifestations se font attendre. » Le taux de chômage bat en effet encore son plein chez les jeunes Tunisiens. « Le prix Nobel est un prix politique, c’est un symbole, ajoute le jeune homme. Pour ce qui est de l’emploi, il faudra encore patienter. »
Dans la sphère politique, la Tunisie a beaucoup avancé au cours des dernières années. Une constitution a été adoptée et certains droits fondamentaux, comme la liberté d’expression, sont mieux respectés, selon le cofondateur du Collectif de solidarité au Canada avec les luttes sociales en Tunisie Haroun Bouazzi. Il émet toutefois quelques réserves. « La paralysie économique empêche les jeunes de penser, résume-t-il. Quand les gens ont faim, ils ne peuvent pas réfléchir. »
Le cynisme persiste malgré le prix Nobel, selon l’étudiante au baccalauréat en études internationales à l’UdeM Catherine Poisson. La jeune femme se trouve en Tunisie, où elle est stagiaire dans l’organisation non gouvernementale tunisienne qui travaille pour l’intégration des femmes en politique, Aswat Nissa. « Si un événement a transformé l’attitude des jeunes face à la politique, c’est la révolution, explique-t-elle. […] Oui, il [le quartet] a éventuellement mené à l’adoption d’une nouvelle constitution et à des élections législatives, mais ça a été très lent. La population avait surnommé le dialogue national l’âne national ».
Une spirale de violence freinée
Pour le spécialiste en études arabes et chargé de cours au département de science politique à l’UdeM Najib Lairini, le prix Nobel de la paix remis au quartet demeure entièrement mérité, malgré les critiques. « C’est une vraie spirale de violence à laquelle on a mis fin, pointe-t-il. Le quartet est né dans un contexte de chaos social, je pense entre autres à l’assassinat d’un député le 25 juillet 2013, et a réussi à donner lieu à un dialogue national. »
Quant à la question des jeunes, M. Lairini admet qu’ils se sont fait en partie « court-circuiter » par les groupes de la société civile et les acteurs politiques déjà existants. « La jeunesse, soit l’avant-garde de la révolution de 2011, a été écartée des processus de négociation, indique-t-il. D’un autre côté, c’est probablement leur absence d’organisations institutionnelles qui les a empêchés de prendre place aux tables de négociations. »
Trouver une solution durable
« Ce que les jeunes doivent maintenant faire, c’est une révolution tranquille », croit fermement M. Bouazzi. Faisant référence au Québec des années 1960 et à ses avancées considérables en matière d’élite intellectuelle, l’ancien militant tunisien croit qu’il s’agit de la seule solution durable pour le peuple tunisien.
La Tunisie vit une transition démocratique « plus stable que ses États voisins », d’après M. Lairini. Toutefois, la menace terroriste plane toujours, et le tourisme, pilier de l’économie nationale, peine à survivre depuis l’attentat perpétré à Sousse le 26 juin dernier**.
« Pour ma part, même si je comprends l’idée de vouloir célébrer le « dialogue », je crois qu’il aurait été plus pertinent de remettre le prix au peuple tunisien », estime Catherine. L’opinion de l’étudiante est partagée par plusieurs observateurs de la situation, dont M. Bouazzi. Malgré les impasses et les défis, le prix Nobel instille un regain d’optimisme national et l’image qui frappe demeure celle d’une jeunesse qui, bien qu’essoufflée, reste déterminée à changer son pays.
* Le député de gauche et opposant au parti islamiste Ennahda, Mohamed Brahmi, est assassiné par balle le 25 juillet devant son domicile dans le secteur d’Ariana à Tunis. Dans une vidéo datant du 18 décembre 2014, l’assassinat est revendiqué par Boubaker al-Hakim, dit Abou Mouqatel, un djihadiste franco-tunisien.
**Le ministère du Tourisme de Tunisie a enregistré une baisse du nombre de touristes d’environ 22 % en 2015, par rapport à l’année 2014.