«On a affaire à une diversité de jeunes avec des problématiques vraiment très différentes les unes des autres », décrit-elle. Vouloir dessiner un portrait uniforme de l’itinérance chez les jeunes serait à l’origine de l’inadéquation de l’aide qui leur est proposée. « L’itinérance jeunesse, ce n’est pas homogène, ce n’est pas un bloc, précise Mme Bourdages-Lafleur. Ce sont des jeunes qui viennent de tous horizons, et le risque, c’est la normalisation des modalités de prévention. »
Adapter l’aide
Pour des raisons financières, certains organismes communautaires se seraient beaucoup institutionnalisés, nous apprend la professeure. « Ce sont des organismes qui étaient historiquement connus pour avoir une approche qu’on appelle « à bas seuil », très peu intrusive dans les critères d’admissibilité. » Mais pour obtenir des subventions gouvernementales, il est imposé à ces organismes de documenter plus en profondeur le profil des jeunes. Il devient donc plus difficile pour eux de ne pas être intrusifs, contrairement à des fondations majoritairement financées par les dons privés, telles que Dans la rue, selon Mme Bourdages-Lafleur. Elle explique que les critères d’admissibilité ne correspondent pas nécessairement au profil des jeunes ni à leurs aspirations.
Selon elle, il faudrait plutôt les impliquer dans la politique et la recherche qui les concernent. « L’histoire de l’itinérance jeunesse et sa politique, c’est une histoire essentiellement écrite par des adultes, et ça, c’est très problématique », rapporte la professeure, qui estime qu’on demande trop peu aux jeunes ce qu’ils vivent au jour le jour, alors qu’ils sont les premiers à vivre l’expérience des transformations économiques, sociales et politiques. Ils seraient donc plus à même d’aider à comprendre comment ces changements les affectent.
Intégrer la vie active, puis la rue
La professeure regrette la représentation qu’on se fait de ces jeunes à Montréal, « de simples victimes ». D’après elle, les jeunes réfutent ce statut. Au contraire, ils seraient en grande demande d’autonomie. « Je dis souvent que la rue est un passage d’expérimentation », raconte la professeure. Se retrouver en situation d’itinérance serait, selon elle, lié à l’intégration de la vie active.
« Le profil du travailleur aujourd’hui est très différent », ajoute Mme Bourdages-Lafleur. Selon elle, la structure économique a changé, se rapprochant d’une économie de service. Avant, ces jeunes pouvaient se satisfaire d’un diplôme d’études professionnelles (DEP) ou d’une formation plus technique, mais ce ne serait plus le cas. « Ça demanderait une consultation avec le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur pour savoir quelles formations on va pouvoir offrir à ces jeunes-là », soutient-elle. Ces derniers n’auraient souvent pas accroché au secondaire, rendant déjà difficile leur intégration dans la société, avant même d’être marginalisés par l’itinérance.
La professeure critique également certains éléments de projets pilotes qui accompagnent les jeunes des centres jeunesse dans la transition vers l’âge adulte. « On les met en appartement, et on refuse qu’ils soient en colocation avec d’autres jeunes, mais c’est impossible à Montréal ! »
Mme Bourdages-Lafleur soulève toutefois qu’il existe un savoir faire « exceptionnel » dans la province. « Les années 1980 et 1990 ont vu naître des modalités d’intervention […] très innovantes pour l’époque, mais il faut revoir ces pratiques à la lumière des conditions dans lesquelles se retrouvent les jeunes aujourd’hui. » Et celles-ci ne doivent pas seulement concerner ceux qui se retrouvent à la rue, selon elle, mais l’ensemble de la jeunesse.