C’est la bande-son du jeu Assassin’s Creed Valhalla qui s’est démarquée dans la toute nouvelle catégorie aux Grammy Awards 2023. Cette annonce en aurait peut-être surpris plus d’un·e il y a quelques décennies, à l’époque des premiers jeux d’arcade.
Aujourd’hui, avec près de 1,8 milliard de joueurs et de joueuses en 2022 dans le monde, le jeu vidéo est l’un des médias les plus populaires et les plus rentables, selon un rapport de l’entreprise Statista. Mais qu’en est-il de la conception selon laquelle il ne serait qu’un passe-temps et non un objet artistique en bonne et due forme ?
« Il y a une reconnaissance culturelle qui commence à s’installer, il y a un effet générationnel aussi, explique le professeur au Département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques de l’UdeM et spécialiste du jeu vidéo Dominic Arsenault. Il y a un parcours semblable à la reconnaissance du cinéma, de la télé, de la bande dessinée. Ça vient d’un côté de la société qui reconnaît qu’il y a plus que du divertissement. »
Évolution des perceptions
La vision populaire de l’industrie a donc bien changé, suivant la croissance en profondeur des jeux vidéo, leur capacité à aborder des thèmes importants et à explorer des perspectives uniques.
Le premier succès commercial de l’industrie vidéoludique peut être attribué à Pong, sorti en 1972. Ce jeu consistait en une simple partie de tennis de table sous forme de jeu d’arcade. Sa popularité a été immense dans les années 1980, souvent considérées comme l’âge d’or des jeux d’arcade.
L’avènement des consoles dans les années 1990, comme la Nintendo ou la Sega Genesis, a ensuite popularisé les jeux vidéo à domicile. Des personnages comme Mario ont marqué une génération entière. Puis peu à peu, les jeux ont gagné en complexité, grâce à des histoires plus élaborées et des graphismes plus avancés. « Les gens ne veulent pas seulement faire des jeux, ils veulent exprimer des idées », précise M. Arsenault.
Depuis lors et jusqu’à aujourd’hui, les jeux vidéo ont ainsi accompagné la jeunesse de plusieurs générations. « Ça a toujours fait partie de ma vie, témoigne l’étudiant en deuxième année au baccalauréat en neurosciences à l’UdeM et adepte de jeux vidéo Solal Aubailly. J’ai joué pour la première fois sur une Game Boy quand j’avais cinq ans et je n’ai jamais arrêté, c’est juste la modalité qui a changé. »
Un média interactif
Pour la génération Z, cela ne fait aucun doute : les jeux vidéo sont une forme d’art à part entière. C’est même « une forme d’art différente des autres, car elle est propre à celui qui y joue, pas comme une peinture, explique Solal. C’est infiniment plus personnalisable. Un jeu vidéo dépend de la personne. » Il ajoute que le jeu vidéo consiste à créer un ensemble dont l’expérience est différente pour chacun·e.
Les jeux vidéo offrent maintenant des histoires immersives, des expériences narratives complexes, des réflexions sur la société et la culture. Et ils permettent aux joueurs et aux joueuses de se connecter au monde de manière unique. « C’est une manière de faire comprendre des situations à des gens autrement que de s’asseoir devant un écran et de visionner le destin de quelqu’un », souligne le directeur du Département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques de l’UdeM, Bernard Perron.
« Le jeu vidéo, comme n’importe quelle autre forme d’art ou média, que ce soit le cinéma, la télé, le roman ou même la photographie, peut être utilisé pour aborder des enjeux sociaux, mentionne le doctorant en études cinématographiques Samuel Poirier Poulin, qui s’intéresse plus particulièrement au 10e art dans le cadre de sa thèse. Le jeu vidéo peut être utilisé pour raconter des histoires et c’est ça qui en fait, selon moi, un média puissant. C’est de la fiction, oui, mais de la fiction qui peut raisonner avec nos expériences réelles. »
Des lieux pour étudier les jeux
L’exposition Rétro-Lucidité se déroule présentement à la salle d’exposition du Carrefour des arts et des sciences du pavillon Lionel-Groulx, et ce, jusqu’au 17 mars. Elle propose une immersion dans le monde des jeux vidéo rétro et aborde la question du retour en arrière dans le domaine.
De nombreux festivals et conventions ont aussi lieu chaque année, permettant aux créateur·rice·s d’exposer leur travail et d’interagir avec le public tout en promouvant les jeux vidéo en tant qu’œuvres d’art. « La question du jeu en tant qu’art est essentialiste, estime toutefois le doctorant en études cinématographiques à l’UdeM Jesse Aidyn, créateur du jeu vidéo World Annihilation Operations, qui accompagne sa thèse. En réalité, ça dépend de comment on va l’approcher. Le jeu, ça peut être n’importe quoi. Poser la question de l’art, c’est ramener le jeu vidéo à une essence particulière, quand le but, c’est de s’exprimer. »
L’enseignement et la recherche universitaire du jeu vidéo sont un autre moyen de le légitimer en tant que pratique artistique, donnant ainsi l’occasion aux chercheur·euse·s d’étudier leurs aspects techniques et esthétiques, d’analyser leur contenu narratif et d’examiner leur impact culturel et social. Les cours donnent la possibilité aux étudiant·e·s de créer, tout en explorant leur potentiel artistique.
Ainsi, bien que la question de la légitimité des jeux vidéo dans le domaine artistique puisse encore se poser pour certaines personnes, en 2023, elle paraît obsolète pour d’autres. Dans le monde universitaire, cette reconnaissance est indiscutablement établie.
En raison de l’apparition de nouvelles technologies, liées notamment à l’intelligence artificielle, l’industrie n’a pas fini de surprendre les joueurs et les joueuses. « L’intelligence artificielle va aider les gens à s’approprier des outils de production », affirme M. Arsenault.
L’accessibilité grandissante à ce média va permettre la fragmentation du domaine et donner plus de place aux créateur·rice·s indépendant·e·s, selon lui.