Volume 19

Une déficience très tendance

Quel est le point commun entre le réalisateur Jean-Marc Vallée, le chorégraphe Sidi Larbi Cherkaoui et la comédienne Geneviève Morin-Dupont ? La déficience intellectuelle. La dernière vit avec, les deux premiers ont choisi d’en parler dans leurs oeuvres ou de faire appel à des artistes qui en ont une. Faut-il voir dans cette visibilité croissante sur la scène artistique un phénomène de mode autour de la déficience intellectuelle ?



 

 

 

 

Après Crazy, la trisomie. Le dernier film de jean-Marc Vallée met en scène deux enfants trisomiques, Marin Gerrier et Alice dubois.

 

 

 

 

« On voit effectivement depuis quelques années plus de productions de grande qualité avec des personnes ayant une déficience intellectuelle qui sont des artistes à part entière. On leur donne une place non pas parce qu’elles sont “étranges”, mais bien parce qu’elles ont un réel talent. Je ne sais pas s’il y a une mode, mais la réalité est là», observe Julie Laloire, agente de sensibilisation à l’Association de Montréal pour la déficience intellectuelle.

À l’école Les Muses, on forme des adultes avec une déficience intellectuelle aux arts de la scène pour «répondre à la demande grandissante du cinéma et du théâtre pour des acteurs hors normes», peut-on lire sur le site Web du centre de formation. Hélène-Elise Blais y enseigne le chant, et confirme la demande accrue en provenance du monde du spectacle.

«C’est terrible, pour une société, d’ignorer des gens avec un talent pareil ! Ça n’a aucun sens de les laisser dans des centres», assène t- elle.

Pour Julie Laloire, ce qui fait défaut aux personnes ayant une déficience intellectuelle n’est pas le talent, mais plutôt la parole. C’est précisément ce qui a poussé nombre d’organismes oeuvrant dans le domaine de la déficience intellectuelle à se mobiliser pour renverser la vapeur. Delphine Ragon, directrice des programmes communautaires aux Compagnons de Montréal, abonde dans le même sens : «ces dernières années, un créneau a été pris par les organismes du milieu pour donner une visibilité positive aux personnes vivant avec une déficience intellectuelle. L’art a l’avantage de permettre d’en parler en termes de capacités plutôt que de limitations.»

L’art, avenir de l’inclusion

Nadia Duguay dirige l’organisme Exeko, qui chapeaute un projet de création en tandem entre des artistes avec et sans déficience intellectuelle. «Par absence de masque social, les artistes qui ont une déficience intellectuelle créent avec cet ancrage émotionnel fondamental qu’est la passion, explique-t-elle. Ils n’ont pas de réticence à poser tel ou tel geste au motif que ce serait peut-être socialement mal accepté. Or, ce type d’hésitation est selon moi la plus grande limite qu’un artiste qui n’a pas de déficience va souvent développer. Il y a donc une créativité qui est propre aux personnes avec une déficience, et ça, c’est une force.» Incapables, limités, retardés, autant d’attributs longtemps collés à la déficience intellectuelle et qui résonnent mal avec talent et performance.

Pour Delphine Ragon, «c’est l’environnement qui crée le handicap, les limitations viennent du contexte social. En favorisant l’accès aux domaines artistiques et culturels, on permet à des gens compétents d’y occuper une place active ». Selon Nadia Duguay, «c’est le même principe que la rampe pour le fauteuil roulant, que nous comprenons facilement : avec la déficience, il faut faire ce même effort collectif pour favoriser l’accessibilité.»

Parler plus, c’est parler bien ?

Le milieu communautaire se réjouit de cette visibilité croissante, avec toutefois quelques réserves. On ne parle pas toujours avec justesse de la déficience intellectuelle. Le grand classique, c’est l’amalgame avec la maladie mentale. D’une organisation à l’autre, on le déplore unanimement. La différence est pourtant fondamentale : la déficience est un état, pas une maladie. « Il y a encore beaucoup à faire même s’il y a eu une évolution positive ces 40 dernières années. La communauté des personnes ayant une déficience intellectuelle porte le poids d’une croyance ancestrale selon laquelle “elles ne sont pas capables”. Il faut continuer à défaire ça, et l’inclusion dans le milieu artistique est un bon moyen », conclut Delphine Ragon. À entendre la voix cristalline d’Alexia, élève à l’école Les Muses, on n’en doute pas.

Sophie Mangado

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