Août 2023. L’étudiant au microprogramme en financement des organismes à but non lucratif, Cheikh Seck arrive au pays, valises en main et quelques appréhensions en tête. Les embûches liées à la crise du logement montréalaise résonnent de l’autre côté de l’Atlantique. Alors qu’il était encore au Sénégal, il voyait défiler sur son compte TikTok des vidéos qui en faisaient état.
Cette information ne l’a néanmoins pas préparé au processus de recherche de logements, qu’il qualifie de « compliqué » et, en pesant ses mots, de « très, très, très stressant ».
Un mois après son arrivée et plusieurs demandes plus tard, Cheikh Seck n’a toujours pas de logement. Heureusement, il peut résider chez des membres de sa famille ou chez des amis qui habitent également à Montréal. Coup de chance, alors que la rentrée a déjà commencé, l’étudiant trouve finalement un logement en colocation dans le quartier Côte-des-Neiges, à proximité de l’Université. Un appartement qu’il considère, malgré tout, comme dispendieux.
S’il a finalement trouvé un toit, Cheikh Seck confie que sa recherche de logement l’a tout de même poussé à se poser la question : « est-ce que ça valait le coup de venir au Canada ? »
Un phénomène tristement répandu
Tout comme Cheikh Seck, d’autres membres de l’importante communauté étudiante internationale à l’UdeM n’échappent pas aux répercussions de cette crise. L’étudiant au certificat en gestion d’entreprises à HEC Montréal Benjamin Molot-Fustino en fait partie. Arrivé de France au début du mois d’août, il est toujours à la recherche d’un logement et habite actuellement chez son frère. Il révèle que pour 70 demandes faites en ligne sur des sites tels Kijiji et Facebook Marketplace, il n’a obtenu que 6 visites tout au plus. Son histoire ne s’arrête pas là car, parmi les appartements visités, certains étaient insalubres, selon sa description. Punaises de lits, lieux « délabrés » ou même présence de mauvaises odeurs figurent parmi les raisons pour lesquelles Benjamin Molot-Fustino a refusé d’y loger, rappelant judicieusement que les photos peuvent parfois être trompeuses.
Que l’équipe de Soutien à la communauté étudiante internationale de l’UdeM soit face à un nombre de demandes d’aide plus élevé depuis l’été n’est donc pas étonnant.
Sans surprise, une telle problématique ne se limite pas à l’écosystème udemien, mais se répand plutôt à l’échelle nationale. Des histoires d’étudiant·e·s internationaux·ales devant se résoudre à vivre dans des conditions précaires ont récemment fait parler. Parmi elles, le cas d’un étudiant international du Collège Conestoga, à Kitchener, en Ontario, aperçu vivant sous un pont à Toronto, dans une vidéo devenue virale. De leur côté, 25 étudiant·e·s internationaux·ales du Collège Canadore, à North Bay, également en Ontario, ont dû dormir dehors, dans des tentes, pendant quelques jours, avant que l’établissement n’intervienne en leur offrant des logements à faible coût.
UNE COMMUNAUTÉ EN CROISSANCELe nombre d’étudiant·e·s internationaux·ales qui choisissent de venir au pays continue d’augmenter. Il a d’ailleurs plus que doublé entre 2014 et 2018 pour atteindre 721 205, selon Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC). |
La communauté internationale vulnérable ?
La communauté internationale estudiantine est particulièrement vulnérable financièrement, puisqu’elle paie des frais de scolarité de trois à cinq fois plus élevés que la communauté étudiante québécoise. C’est ce qu’a souligné la professeure en genre, sexualité et études féministes à l’Université de York Tania Das Gupta à l’occasion de son passage dans la baladodiffusion Front Burner, produit par CBC. À l’UdeM, un·e étudiant·e international·e inscrit·e à un programme de premier cycle doit par exemple payer 30 000 $ par an, contre 4 000 $ à 5 000 $ par an pour un·e Québécois·e. Le coût devient ainsi un enjeu décisif dans la recherche de logement.
Cet enjeu est particulièrement important pour l’étudiante de dernière année au baccalauréat en sciences politiques Leica Mary Boni. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’Ivoirienne loge dans les résidences de l’UdeM depuis le début de son parcours universitaire.
900 000C’est le nombre d’étudiant·e·s internationaux·ales que le Canada est censé accueillir en 2023 Source : Université York |
« Les coûts sont énormes ! s’exclame-t-elle pour décrire le marché actuel. Avec 1 000 $, tu ne peux même pas te trouver un studio. » Pour un coût de 429 $ par mois pour un studio simple dans les résidences ZUM, Leica Mary Boni sera confrontée à une dure réalité dès le trimestre prochain, quand elle aura terminé ses études, ce qu’elle anticipe déjà. « Sortir des résidences, ça va être un gros choc », affirme-t-elle.
« C’est un problème qui s’est créé sur plusieurs années et qui se réglera sur plusieurs années. »
Jean Philippe Meloche, professeur titulaire à l’École d’urbanisme et d’architecture du paysage de l’UdeM
Les résidences de l’UdeM, qui représentent une option abordable en cette période de crise, ne comptent toutefois que 1 123 chambres, également ouvertes à la communauté étudiante de HEC Montréal et de Polytechnique Montréal. Cheikh Seck et Benjamin Molot-Fustino font, par exemple, partie des nombreux étudiants à ne toujours pas avoir réussi à y obtenir une chambre.
Pour le professeur titulaire à l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage de l’UdeM Jean-Philippe Meloche, toute personne fréquemment en mouvement sera davantage touchée par la crise du logement. Ceci révèle donc pourquoi non seulement les étudiant·e·s internationaux ·ales en sont davantage victimes, mais aussi les étudiant·e·s en général, la population étudiante déménageant beaucoup. Ce facteur de mouvement contribue à la hausse des prix des loyers, selon lui. Un·e propriétaire ou un·e locataire qui ont donc respectivement acheté ou loué leurs logements actuels avant que le marché ne soit à la hausse, ont des hypothèques et des loyers plus bas en comparaison avec les nouveaux·elles propriétaires et locataires.
Toutefois, pour Leica Mary Boni, la problématique de discrimination entre également en jeu, tout particulièrement pour les étudiant·e·s internationaux·ales, ce qui nuit à la trouvaille d’un logement. Elle mentionne que lors de la visite d’un appartement, un propriétaire lui a demandé si elle était musulmane, parce que, vivant dans le même immeuble, il estimait que « les ablutions faites durant les rituels de prières [des musulmans] le dérangeraient ».
Pour la professeure Gupta, qui se spécialise notamment en immigration, le racisme compte indéniablement parmi les facteurs de difficulté auxquels fait face cette communauté dans son processus de recherche de logement.
RESSOURCES À L’UdeM: FINI LE BUREAU DES ÉTUDIANTS INTERNATIONAUXLe Bureau des étudiants internationaux (BEI) fait peau neuve en cette rentrée 2023. Depuis mars dernier, le BEI tel qu’on le connaissait n’existe plus. Les services de soutien pour les étudiant·e·s internationaux·ales sont alors scindés en deux ressources : UdeM International et Soutien à la communauté étudiante internationale. Cette dernière existe grâce aux Services à la vie étudiante et facilite notamment des rencontres de réseautage, les sorties hors campus et les programmes de jumelage par exemple. UdeM International, quant à elle, regroupe la Direction des affaires internationales, le Bureau des séjours d’études hors Québec, le Bureau des étudiants internationaux et le secteur immigration de la Direction des ressources humaines. |
Source ou victime du problème ?
Alors que la crise du logement bat son plein, le ministre du Logement, Sean Fraser, a déclaré en août dernier envisager l’idée de plafonner le nombre de visas octroyés aux étudiant·e·s internationaux·ales afin d’y remédier. Ses propos ont suscité la controverse, notamment auprès des universités québécoises, comme le souligne le journaliste Jacob Serebrin dans un article1 publié dans La Presse quelques jours après la déclaration de M. Fraser.
Le recteur de l’UdeM, Daniel Jutras, avait notamment pris la parole en s’opposant fermement à l’idée évoquée par le ministre. Il avait alors déclaré que le problème était davantage d’ordre structurel et sans lien direct avec les étudiant·e·s étranger·ère·s. Plusieurs spécialistes partagent son avis et appellent plutôt à résoudre le manque de résidences universitaires et de logements étudiants sur le marché.
L’organisatrice communautaire de l’association Migrant Workers Alliance for Change (MWAC) Sarom Rho souligne auprès du Global News2 que la fermeture des frontières durant la pandémie a donné un aperçu de ce à quoi pouvait ressembler la mise en action du plafond qu’envisage M. Fraser. Elle rappelle également que cette fermeture n’a pas eu d’effet positif sur le marché du logement et, qu’au contraire, les prix ont considérablement augmenté.
D’autres spécialistes comme M. Meloche sont plutôt d’avis que, bien que cette politique ne soit pas la première mise en place, elle pourrait servir à ralentir la demande le temps de rattraper le retard dans la construction de logements étudiants. « C’est un problème qui s’est créé sur plusieurs années et qui se réglera sur plusieurs années », estime-t-il.
Les étudiant·e·s internationaux·ales sont donc pour l’instant confronté·e·s à un avenir incertain et un présent parfois difficile. S’informer des ressources proposées sur les campus universitaires, comme les équipes de Soutien à la communauté étudiante internationale et d’UdeM international est donc primordial.
1. « Les universités québécoises tiennent à maintenir le nombre d’étudiants étrangers », La Presse.
2. « International students pay sky-high fees. Whose job is it to house them ? », Global News.
Erratum : Dans la version de cet article publiée dans le magazine du 4 octobre 2023, nous mentionnons à trois reprises que Jean-Philippe Meloche est directeur de la Faculté de l’aménagement de l’UdeM. Il est plutôt professeur titulaire à l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage de l’Université de Montréal. Nos excuses.