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Claude-Alie Wagnac, 22 ans, fait partie de la première cohorte bénéficiant du plan d’action de la Faculté de médecine Photos

Une avancée marquante

C’ est le 15 septembre 2022 que la Faculté de médecine a dévoilé son plan d’action à l’égard des communautés noires, élaboré en partenariat avec l’Association médicale des personnes de race noire du Québec (AMPRNQ) et le Sommet socioéconomique pour le développement des jeunes des communautés noires (SdesJ). Son succès semble se confirmer à en croire la présence d’une vingtaine d’étudiant·e·s issu·e·s des communautés noires présent·e·s dans la cohorte de 200 étudiant·e·s cette année, en comparaison avec celles des années précédentes, qui en comptaient moins de cinq.

«C’est un progrès non négligeable qui a été fait depuis les dernières années au sein de la Faculté de médecine, souligne le le directeur des programmes de microbiologie médicale et maladies infectieuses chez l’adulte à l’UdeM, Jean-Michel Leduc, à l’origine de l’initiative. Il y a une volonté de la direction d’être proactif et d’agir.»

L’étudiante en première année au programme de médecine Claude-Alie Wagnac fait partie de cette toute première cohorte à profiter du plan d’action. Pour elle, cette admission représente une véritable fierté. «Depuis que je suis toute jeune, j’ai toujours voulu devenir médecin, déclare-t-elle. Les nouvelles mesures ont clairement contribué à la réalisation de mon rêve. Je m’épanouis à chaque seconde de mon parcours académique.»

La genèse du plan

Sous la direction de la rhumatologue au CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal Isabelle Ferdinand et le docteur Leduc, l’élaboration du plan a débuté vers 2019 à la suite d’une constatation de la sous-représentation de ces communautés à la Faculté. «On avait commencé à codifier des données depuis trois ou quatre ans, et on a réalisé que, systématiquement, au niveau des proportions, le nombre de personnes issues des communautés noires était nettement inférieur, explique-t-il. Le plan vient donc d’une volonté de mieux comprendre la situation.»

À la même période, la Black Medical Students’ Association of Canada (BMSAC) avait envoyé un appel à l’action aux différentes facultés de médecine du Canada. C’était donc «une sous-population, qui avait déjà été soulignée par d’autres facultés de médecine, provenant d’autres universités à travers le Canada», selon le docteur Leduc. La tragédie autour de la mort de George Floyd et la prise de conscience collective qui en a découlé ont également poussé le comité à rendre le projet concret, le besoin se faisant de plus en plus sentir.

Un plan complet

Le plan se divise en cinq axes, tous dans l’optique d’atteindre une meilleure inclusion. Claude-Alie Wagnac, 22 ans, fait partie de la première cohorte bénéficiant du plan d’action de la Faculté de médecine. Photos | Juliette Diallo Quartier L!bre | vol. 29 | no 5 | 8 mars 2023 | Page 23 Le premier concerne les événements survenus avant l’acceptation au programme de médecine. Comme le rappelle le docteur Leduc, la sensibilisation et l’encouragement sont primordiaux. «Ce qu’on réalise, c’est un certain découragement à aller déposer des demandes, ou une certaine méconnaissance des processus d’admission, précise-t-il. Il est dur de se visualiser dans un domaine d’études ou dans une carrière professionnelle lorsqu’on ne peut s’identifier à personne du milieu.»

C’est dans ce contexte qu’un programme comme Cap Campus, dont l’objectif est d’informer les jeunes du secondaire et du Cégep sur leurs possibilités d’avenir, entre en jeu. Ce projet, mis sur pied en 2000 par le professeur honoraire au Département de pharmacologie et physiologie de l’UdeM, Louis Dumont, permet aux élèves provenant de milieux défavorisés d’ouvrir leurs horizons. Claude-Alie Wagnac partage l’avis du docteur Leduc. «Une mesure comme celle-là peut motiver les personnes issues de ces communautés à postuler, affirme-t-elle. Elles peuvent se dire qu’elles ont une chance, que c’est réalisable». Le deuxième axe porte sur l’admission. Il ne porte pas sur des quotas, mais sur un programme d’accès. Des places en entrevue ont été ajoutées sur la base d’un document d’autodéclaration dans lequel les étudiant·e·s mentionnent lorsqu’ils ou elles sont issu·e·s des communautés noires. «On a voulu travailler au niveau des outils utilisés quant à la sélection des étudiants, puisque c’est parfois à travers ces moyens de sélection que peuvent se refléter des barrières systémiques», explique le docteur Leduc.

Lors de l’analyse des dossiers, tous sont évalués de la même façon, un coup de pouce pour la première étape de la démarche d’admission. «Une mesure comme celle-ci donne la chance à tous et à toutes de partir sur le même pied d’égalité», s’enthousiasme Claude-Alie Wagnac. Des démarches ont également été faites en collaboration avec l’AMPRNQ pour rechercher une diversité au sein du jury. Le programme compte maintenant «plus de 10 % d’évaluateurs et évaluatrices issus des communautés noires».

Les stratégies mises en place pour le troisième axe ont pour but d’assurer que l’environnement dans lequel les étudiant·e·s issu·e·s des communautés noires évoluent est sain et dépourvu de stéréotypes ou d’éléments à caractère raciste, que ce soit en salle de classe ou encore en milieu de stage.

Pour ce faire, le Bureau du respect de la personne possède des outils d’intervention en matière de harcèlement ou de discrimination et des formations sont données à l’ensemble du personnel de la Faculté de médecine. «Les étudiants ont maintenant des cours sur les biais inconscients, détaille le docteur Leduc. Une table étudiante a révisé l’entièreté du contenu des cours et a fait des recommandations sur, par exemple, le vocabulaire à utiliser lors des études de cas afin d’éviter de renforcer des stéréotypes racistes.» Cette initiative se rapproche de l’objectif du quatrième axe du plan, portant sur le curriculum du programme de médecine. Celui-ci a profité d’une mise à jour complète du contenu pédagogique et des méthodes d’enseignement. La Faculté mise notamment sur la mise en valeur de modèles noirs inspirants par l’entremise de capsules vidéo. La chirurgienne à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont Margaret Henri fait partie de ces modèles.

La question du soutien financier fait également partie intégrante du plan d’action, avec «quelques bourses qui existent déjà spécifiquement pour encourager ces étudiants», mentionne le docteur Leduc. «Les étudiants qui viennent de familles immigrantes doivent souvent travailler beaucoup plus fort que les autres, entre autres parce que leurs parents n’ont pas les ressources pour les accompagner dans leur parcours académique, explique Claude-Alie Wagnac. On commence la course 10 ou 20 pas en arrière.» Pour elle, le plan d’action permet une remise à niveau des chances données à chacun·e.

Claude-Alie Wagnac et des collègues du programme de médecine participant à un groupe d’étude. Photos | Juliette Diallo

Une représentation nécessaire

Les étudiant·e·s, le corps enseignant de la Faculté de médecine et les responsables du projet s’entendent pour dire qu’une représentation juste des communautés noires et des minorités visibles en général, dans le domaine des sciences de la santé, est important. «Des membres de ma famille sont parfois craintifs d’aller consulter, confie Claude-Alie Wagnac. On se sent toujours plus à l’aise ne serait-ce que d’être en face de quelqu’un qui parle notre langue ou nous ressemble. À mon avis, c’est vraiment important que toutes les ethnies soient représentées pour cette raison.»

La professeure titulaire au Département de philosophie de l’UdeM et codirectrice du Centre de recherche en éthique Ryoa Chung, qui s’intéresse particulièrement aux inégalités en santé, partage le même avis. «Les institutions et les sociétés doivent s’adapter aux enjeux de justice sociale […] et refléter la richesse et la diversité de leur population, qui sont gages d’excellence pour la recherche future, déclare-t-elle. L’UdeM doit jouer un rôle décisif dans ce tournant.»

Elle souligne l’initiative de la Faculté de médecine. «Les universités ont été tour à tour des lieux de pouvoir et de domination, mais également des lieux d’avancées aux niveaux scientifique et social, ajoute-t-elle. C’est grâce à cette conviction profonde que nous persévérons à célébrer la capacité des universités d’accueillir des débats complexes ainsi que des changements sociaux qui bénéficient à l’ensemble de la société.»

Claude-Alie Wagnac se montre optimiste quant au futur de la représentativité des minorités visibles dans le domaine des sciences de la santé. «Une mesure comme celle-là, sur le long terme, peut réellement faire une différence, ajoute-t-elle. J’espère que les autres universités vont suivre cet exemple.» 

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