Un tourisme funky

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Par Edith Pare-Roy
mardi 8 mars 2011
Un tourisme funky

Portrait type du touriste de base:

 

Personne qui part à l’étranger avec un guide de voyage, un plan de la ville, une liste de recommandations (où dormir, où manger, quoi visiter), un appareil photo autour du cou et un sac banane. À des années-lumière d’un Indiana Jones intrépide. Moins sexy et moins funky.

 

Portrait type du touriste expérimental, dit «expérimentateur»:

 

Personne qui emprunte des routes différentes de celles tracées dans un guide de voyage. Par anticonformisme ou goût de l’aventure, l’« expérimentateur » choisit librement les règles de son voyage. Il évite du coup de fréquenter les mêmes endroits, au même moment et dans le même ordre que les autres voyageurs. Il souffre d’un léger sentiment de supériorité vis-à-vis des touristes dits traditionnels.

 

Déjouer les règles

 

Le LAboratoire de TOURisme EXpérimental (Latourex) propose une nouvelle façon de voyager. Le tourisme expérimental permet de faire le tour du monde à prix réduit ou de trouver une destination originale.

 

Parmi les propositions les plus extravagantes du Latourex se retrouve le tourisme tachiste : on doit renverser une tache d’encre sur une carte et visiter le coin du monde recouvert par celle-ci. Il est également conseillé de se promener dans un lieu avec les yeux bandés en compagnie d’une personne de confiance, le cécitourisme. Pour les budgets serrés, l’aérotourisme convient bien: il suffit de se rendre dans un aéroport non pour s’envoler, mais pour observer les voyageurs partir ou revenir.

 

Nul besoin d’équipement sophistiqué ou d’argent pour entreprendre un voyage alternatif. Les sans-le-sou peuvent adapter les propositions à leur ville plutôt que de se rendre à l’étranger. «Une bonne ouverture d’esprit est la seule composante essentielle », affirme Rachael Antony, coauteure du livre Le guide du voyage expérimental publié chez Lonely Planet. «Une fois libéré des attentes du tourisme traditionnel, le monde s’ouvre à vous», poursuit-elle.

 

Filotourisme

 

Joël Henry, le créateur du Latourex, propose comme voyage alternatif de suivre incognito des touristes durant leur déambulation. On peut ainsi se transformer en détective-touriste. Idéalement, cette aventure fait découvrir de nouveaux lieux. Sinon, elle permet d’assouvir une soif de voyeurisme.

 

Un dimanche après-midi, je me rends dans le Vieux-Montréal. Ma chasse aux touristes s’avère facile : j’attends discrètement un couple qui termine une promenade en calèche. De vrais touristes : Monsieur et Madame portent des lunettes fumées, un sac en bandoulière et un immense appareil photo Canon autour du cou.

 

Ils prennent des photos sans arrêt : le cheval, les paysages et, bien sûr, leur conjoint en train de prendre une photo – un classique. Ils se rendent ensuite au quai Jacques-Cartier pour admirer l’exposition de photos Femmes à l’honneur organisée pour la 12e édition du Festival Montréal en lumière. Ils s’exclament devant chacune des photos avec leur accent gaspésien. Je fais le tour en cinq minutes, mais eux prennent tout leur temps.

 

Le goût sucré salé de l’aventure

 

Mes nouveaux amis se jettent sur la minuscule cabane à sucre de la place Jacques-Cartier. Je ris dans ma barbe tellement c’est cliché : tous les employés portent une grosse chemise à carreaux et un casque de poil. Les nombreux touristes français semblent apprécier ce spectacle folklorique. Quant à eux, les touristes gaspésiens dégustent leur tire comme s’il s’agissait de leur dernier repas. Ils poursuivent leur déambulation dans les petites rues pavées – je m’emmerde. Au bout d’une heure, ils se mettent à la recherche d’un restaurant. On croise plusieurs bistros français invitants. Pourtant, ils finissent devant un Big Mac et une grosse frite. Me souvenant des paroles de Joël Henry («Tricher ne nuit pas au jeu. C’est juste une façon de poursuivre»), je les quitte sans adieu et sans regret.

 

Je décide de suivre des touristes plus jeunes et plus branchés. Je repère deux Allemandes au look hipster. Elles se dirigent vers le DHC, une galerie d’art contemporain [451 rue Saint- Jean] Première surprise : c’est gratuit [NDLR: visiter des galeries, c’est gratuit]. Deuxième : la grandeur du lieu (quatre étages). Troisième : j’adore l’expo de Ceal Floyer, une artiste conceptuelle, qui aime les titres autant que les oeuvres, et le jeu avec l’espace autant qu’avec la matière. Ravie, je n’hésite pas à poursuivre ma filature, qui aboutit dans le quartier chinois. Je bois du thé au jasmin en dressant l’oreille vers la table voisine où fusent des exclamations allemandes que je ne comprends pas. À ma droite, un jeune homme me fixe en prenant des notes. Peut-être pratiquet- il aussi le filotourisme ? Telle est prise qui croyait prendre.