Un sociologue à l’hôpital

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Par Timothé Matte-Bergeron
lundi 24 avril 2017
Un sociologue à l’hôpital
Le doctorant en sociologie à l'UdeM Samuel Blouin doit marcher sur une fine ligne pour obtenir les confidences de patients en fin de vie. Crédit photo : Marie Isabelle Rochon.
Le doctorant en sociologie à l'UdeM Samuel Blouin doit marcher sur une fine ligne pour obtenir les confidences de patients en fin de vie. Crédit photo : Marie Isabelle Rochon.
Quartier Libre transporte ses lecteurs sur le terrain, au cœur des projets de recherche menés par des étudiants. Dans ce numéro, le doctorant en sociologie à l’UdeM et à l’Université de Lausanne Samuel Blouin étudie les conversations publiques et privées entourant l’assistance à mourir, en vue de comparer les approches du Québec et celles du canton de Vaud, en Suisse.
« J’ai trouvé qu’une entrevue avec une personne qui me racontait ses motivations pour avoir recours à l’aide à mourir était plus difficile sur le plan émotionnel, en tout cas pour moi. Dans ces histoires-là, c’est la parole des gens qui me bouleverse le plus. »
Samuel Blouin, doctorant en sociologie à l’UdeM et à l’Université de Lausanne.

Après s’être penché sur les débats publics entourant l’aide médicale à mourir, Samuel Blouin cherche désormais à déterminer comment ces discussions font écho aux expériences concrètes des acteurs sur le terrain et vice-versa. Sa démarche de recherche ayant été approuvée et les portes d’un hôpital de la région de Montréal lui étant ouvertes, l’étudiant en sociologie aborde maintenant l’aspect le plus délicat et peut-être le plus éprouvant de son travail : les observations et les entretiens avec le personnel, les patients en fin de vie et leurs proches.

Une démarche éprouvante

Ayant déjà eu la chance de discuter avec des gens en fin de vie hors du cadre d’un hôpital, il est sûr que certains accepteront de lui parler ici à Montréal. « Souvent les gens me disent que c’est rare qu’une personne aussi jeune que moi s’intéresse à ce qu’ils vivent, explique-t-il. Des proches de patients m’ont dit qu’avant de passer à travers ce processus-là, ils n’avaient aucune idée de ce à quoi s’attendre, que ça les intéressait de témoigner pour que d’autres en aient une. Il y a des cas dans les médias, mais ce sont les plus dramatiques, les plus controversés. La “ normalité ” des autres cas, on ne la connaît pas. »

Samuel admet que les témoignages personnels sont souvent éprouvants. Plus encore, selon lui, que la procédure d’aide médicale à mourir, à laquelle il a assisté. « J’ai trouvé qu’une entrevue avec une personne qui me racontait ses motivations pour avoir recours à l’aide à mourir était plus difficile sur le plan émotionnel, en tout cas pour moi, précise-t-il. Dans ces histoires-là, c’est la parole des gens qui me bouleverse le plus. »

Une approche longuement réfléchie

Faire approuver son projet par le comité éthique de l’établissement a été assez long. Il a fallu un an pour obtenir un certificat lui permettant d’être sur place pour mener sa recherche. « Ce qui est compliqué, ce n’est pas d’effectuer les formalités, mais c’est de gagner la confiance des gens sur le terrain, remarque Samuel. Pourquoi accepterait-on qu’un étudiant en sociologie soit présent dans l’unité de soins palliatifs et soit invité dans les comités ? »

Pour sa directrice de thèse et professeure au Département de sociologie Valérie Amiraux, il est d’une certaine façon salutaire que le processus ait été aussi long. « C’est à la fois pénible, et en même temps rassurant, de voir qu’il y a un regard extrêmement précis et attentif sur les conditions d’accès à la parole de ces gens qui sont aussi près de la fin de leur vie », affirme-t-elle.

Justement, comment recruter des participants à son étude, considérant le contexte délicat de leur situation ? La façon de faire a été précisée avec le comité d’éthique de l’hôpital, où le personnel médical jouera un certain rôle. Toutefois, pas question qu’un patient en fin de vie, vulnérable, soit recruté par la personne à qui le patient demandera peut-être l’aide médicale à mourir. La pression possiblement créée pour accepter serait éthiquement inacceptable. « Les membres du personnel médical connaissent déjà le patient et les membres de sa famille, indique la professeure au Département de psychiatrie de l’UdeM et codirectrice de thèse de Samuel, Mona Gupta. Ils pourront demander : “ Parler avec un chercheur vous intéresserait-il ? ” Si le patient ou la famille acceptent d’aller plus loin, Samuel sera présenté et entrera en scène. C’est à lui de faire le vrai recrutement. Le patient ne le connaît pas, car il n’est pas impliqué dans ses soins : il n’a rien à perdre s’il dit non et que ça ne l’intéresse pas. »

Place au canton de Vaud

Après le Québec, Samuel continuera sa recherche de terrain en Suisse. Depuis 1942, l’aide au suicide est décriminalisée dans tout le pays à la condition que l’acte n’ait pas un mobile égoïste. Le peu d’encadrement du processus par l’État a entraîné, dans les années 1990, l’émergence d’organismes sans but lucratif procurant un service d’assistance au suicide. « Je remarque que la liberté de conscience est très prégnante en Suisse, ce qui est assez logique dans un contexte où l’État s’est désengagé et où la primauté de l’individu peut prendre davantage de place, croit Samuel. Au Québec, l’euthanasie est plutôt considérée comme un soin, un service de santé offert par l’État. »

Dans le canton de Vaud, où est située l’Université de Lausanne à laquelle le jeune chercheur est affilié, la situation a évolué en 2013. Le suicide assisté y est maintenant aussi pratiqué dans les établissements de santé locaux, comme au Québec. Un point de comparaison qui intéresse Samuel et dont il étudiera les implications lors de son prochain travail de terrain, dans un hôpital vaudois.

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