Un plan qui porte ses fruits

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Par Florence Aquilina
dimanche 7 janvier 2024
Un plan qui porte ses fruits
Dès avril prochain, l’UdeM mettra en ligne une formation gratuite ouverte à tous·te·s sur les réalités autochtones. Illustration | Emily Junca
Dès avril prochain, l’UdeM mettra en ligne une formation gratuite ouverte à tous·te·s sur les réalités autochtones. Illustration | Emily Junca
En réaction à la Commission de vérité et réconciliation du Canada, l’UdeM a révélé son plan d’action Place aux Premiers Peuples 2020-2023. Alors que les délais prescrits tirent à leur fin, Quartier Libre fait une analyse de ses tenants et aboutissants.

À son arrivée à l’UdeM en 2009, la professeure en travail social Annie Pullen Sansfaçon ne connaît aucune personne autochtone sur le campus de l’UdeM. Celle qui appartient à la nation huronne-wendat constate, avec du recul, que « rien ne pouvait stimuler un sentiment d’appartenance ». Plus d’une décennie plus tard, elle occupe le nouveau poste de vice-rectrice associée aux relations avec les Premiers Peuples, ce qui fait d’elle la première Autochtone à rejoindre la haute direction de l’UdeM.

La nomination de Mme Pullen Sansfaçon symbolise le chemin parcouru pour acquérir la sécurisation culturelle des Premiers Peuples sur le campus. « On est partis de presque rien, puis aujourd’hui, mon sentiment est qu’on est plus visibles, écoutés et entendus, affirme la vice-rectrice. Il y a une reconnaissance des besoins. »

La visibilité culturelle qu’elle dépeint s’est déployée récemment sur le campus. L’année 2020 a ainsi marqué le lancement du plan d’action Place aux Premiers Peuples, un tournant pour les membres des communautés autochtones de l’UdeM. Réparti en 8 objectifs principaux et 110 mesures pour les atteindre, celui-ci a comme objectif d’accroître la représentation autochtone sur les campus udemiens, le tout en trois ans.

Un gain de confiance

Les mesures en place se traduisent par une augmentation du nombre d’étudiant·e·s qui s’auto-identifient comme étant autochtones. En 2019, ces dernier·ère·s étaient 55 et ce chiffre grimpe aujourd’hui à 90, ce qui représente une hausse de 61%. Les membres du personnel, tous corps de métier confondus, sont quant à eux passés de 16 au moment de la sortie du plan d’action à 24 en 2023. « Bien que ces employés se soient auto-identifiés, on ne se connaissait pas nécessairement », précise toutefois la vice-rectrice, qui insiste sur le besoin impérieux d’un environnement culturellement sécuritaire pour permettre de créer des relations entre personnes autochtones.

« Là, non seulement, le nombre a augmenté, mais on est beaucoup plus en contact qu’avant », affirme-t-elle. Un postulat confirmé par le conseiller principal aux relations avec les Premiers Peuples à l’UdeM et Innu membre de la communauté de Pessamit, Samuel Rainville. « Je ne mesure pas le succès par l’atteinte des 110 objectifs, même si la majorité a été atteinte, précise ce dernier. Le marqueur de réussite du plan, c’est le gain de confiance et la sécurisation culturelle des étudiants et des employés. »

C’est, en effet, dans le contexte de Place aux Premiers Peuples que sont nés le Centre étudiant des Premiers Peuples (CÉPP) et le comité Kwe Kwe, destiné aux employé·e·s autochtones de l’UdeM. Tous deux font partie intégrante des ressources pour les personnes autochtones à l’UdeM. « De plus en plus de personnes connaissent l’existence du Centre », se réjouit la coordinatrice du CÉPP, Mélanie Lumsden, qui rappelle toutefois que celui-ci est encore « tout jeune ».

Annie Pullen Sansfaçon, vice-rectrice associée aux relations avec les Premiers Peuples. Photos | Courtoisie | Amélie Philibert

Vent de changement

Atikamekw et Québécoise originaire de Manawan, l’étudiante Coralie Niquay a commencé son baccalauréat en neuroscience à l’UdeM en 2018. Désormais étudiante de première année au doctorat professionnel en santé publique, elle a été témoin de l’évolution de la représentation autochtone sur le campus. Pour elle, il y a un « avant » et un « après » plan d’action. Elle occupe aujourd’hui le rôle de mentor au Centre, où elle a pour responsabilité de faciliter l’intégration des nouveaux étudiant·e·s autochtones. « Les choses bougent », constate-t-elle.

Un vent de changement souffle effectivement sur l’UdeM depuis la mise en place de Place aux Premiers Peuples. L’admission inclusive est l’un des projets notables qui découlent de ce dernier. « On se doit d’avoir des processus équitables, ce n’est pas de la discrimination positive », tient à préciser M. Rainville. Pour les étudiant·e·s autochtones, ces processus impliquent une évaluation de leurs dossiers, allant au-delà des résultats scolaires pour combler au manque de représentativité dans certains programmes.

La Faculté de l’éducation permanente (FEP) s’engage de son côté à appliquer le principe du double regard Etuaptmumk. Ce dernier se veut une conciliation des visions et des savoirs allochtones et autochtones, tant dans ses programmes d’études que dans les activités facultaires. Cette approche a notamment favorisé l’aménagement de jardins des Premiers Peuples, l’organisation d’activités de cueillettes de plantes médicinales sur le campus, la mise en place de la première formation créditée en milieu autochtone, ainsi que d’une formation et d’un cours universitaire sur les réalités de la santé des autochtones dédiées respectivement aux professionnel·le·s de la santé et aux étudiant·e·s.

Les problématiques des réalités autochtones dans le milieu de la santé ont été mis en lumière lors du décès très médiatisé de Joyce Echaquan. La coroner Géhane Kamel avait évoqué le racisme comme étant une des causes du décès. Dans la foulée, le Conseil des Atikamekw de Manawan et le Conseil de la Nation Atikamekw avaient développé le principe de Joyce. C’est en se conformant à celui-ci, qui vise notamment à « garantir à tous les Autochtones un droit d’accès équitable, sans aucune discrimination, à tous les services sociaux et de santé », que la FEP a mis sur pied ce cours et cette formation sur la santé des autochtones. L’équipe de Cap Campus à l’UdeM a, quant à elle, cocréé avec la Coop Nitaskinan et les communautés des Premiers Peuples, le projet « Repensons la persévérance ». Celui-ci a pour objectif d’inciter la persévérance scolaire chez les jeunes Autochtones du secondaire. Des adolescent·e·s Atikamekw de Wemotaci, en Mauricie, se sont d’ailleurs rendus sur le campus udemien en novembre dernier dans le cadre du projet. Le but étant de leur donner un aperçu de la vie en milieu urbain. « Un défi imposant » pour plusieurs jeunes Autochtones qui souhaitent faire des études universitaires, rapporte Radio-Canada.

D’autres projets ont été propulsés ou initiés par Place aux Premiers Peuples : le Prix de la valorisation des langues autochtones de l’UdeM, la cérémonie des réussites autochtones, le Comité Droit autochtone UdeM ainsi que la nomination de la cheffe de la direction de l’Aboriginal Peoples Television Network (APTN) et membre de la Première Nation abénakise d’Odanak, Monika Ille, en tant que membre du Conseil d’administration de l’UdeM. La dernière édition de la Semaine Mitig, intitulée « Rayonnement des perspectives et des savoirs autochtones », a également connu un grand succès en atirant plus de 650 participant·e·s. « Du jamais vu ! », s’enthousiasme la coordinatrice du CÉPP.

Coralie Niquay (à gauche), étudiante de première année au doctorat professionnel en santé publique à l’UdeM et mentor au Centre étudiant des Premiers Peuples (CÉPP).

Des « pas de géants »

Mme Pullen Sansfaçon qualifie toutes ces mesures de « pas de géants » pour sa communauté. « La démarche n’était pas parfaitement mûre », nuance-t-elle toutefois. M. Rainville caractérise l’année 2020 comme une période d’éveil sociétal quant aux questions autochtones, qui s’est traduite par une précipitation des initiatives dans le but de les adresser. « On a voulu faire les choses trop rapidement », reconnaît-il. Ce n’était pas « nécessairement les personnes autochtones qui portaient » les démarches du plan d’action, tient à préciser le conseiller.

« Les démarches de décolonisation qui sont seulement réalisées par des personnes allochtones, avec une vision qui essaye malgré tout d’intégrer les savoirs autochtones, c’est tout de même une forme de colonisation en soi », éclaircit la vice-rectrice associée aux relations avec les Premiers Peuples. C’est en considérant ces réalisations, facilitées par le plan d’action 2020-2023, et par l’implication graduelle de personnes autochtones sur le campus udemien qu’une structure de gouvernance autochtone verra le jour à l’UdeM prochainement, annonce Mme Pullen Sansfaçon.

Regard vers l’avenir

Elle sera mise sur pied avant le lancement du plan d’action 2024-2029, pour s’assurer de consulter ses membres sur son contenu en amont, preuve d’une maturité dans la démarche depuis l’installation du premier plan, selon Mme Pullen Sansfaçon. Cette structure de gouvernance sera composée d’un conseil de gouvernance, du comité Kwe Kwe, du CÉPP et d’une assemblée qui se tiendra trois fois par an. Durant ces réunions, les employé·e·s et étudiant·e·s autochtones, ainsi que toute personne allochtone sur le campus, pourront échanger et traiter d’un dossier qui les touche. Le conseil de gouvernance ne sera formé que de personnes autochtones. La vice-rectrice reconnaît que le premier plan d’action a permis de grands progrès, et se montre très enthousiaste pour le futur des Premiers Peuples à l’UdeM. « C’est comme si on était en train de traverser une rivière en passant d’une roche à l’autre, illustre-t-elle. Le premier plan d’action nous a permis de mettre en place les roches pour la traverser et faire le premier pas. »