Dans mon cercle d’amis, toute raison semble valable pour faire le party : bonne ou mauvaise nouvelle ; départs et retours de voyages ; débuts, moitiés et fins de session; joies et peines d’amour ; nominations, premiers prix ou dernières places ; changements de sexe et nouveaux seins ; promotions ou pertes d’emploi ; Super Bowl et séries. Célébrer l’apostasie de mon copain reste notre trouvaille la plus originale à ce jour.
Vendredi, 15 heures
Mon copain m’appelle pour m’annoncer qu’il a reçu une lettre qui confirme son apostasie. «Je suis enfin débaptisé!», déclare-t-il, tout heureux. Je m’enflamme avec lui pour deux raisons.
Un: Je sais à quel point ce geste symbolique lui tient à coeur. Quand il m’en a parlé, j’ai émis des doutes sur la pertinence de cette démarche. Erreur. Il s’est emporté : «Il me semble ridicule d’être athée tout en faisant partie de l’Église. Je ne crois pas en Dieu contrairement à mes parents, qui m’ont fait baptiser lorsque j’étais bébé. Il s’agit de leurs croyances et non des miennes. Par l’apostasie, je me sépare officiellement du catholicisme. » D’accord, chéri.
Deux : J’y vois une bonne occasion pour emmerder à notre tour nos voisins, qui écoutent du boom-boom en permanence.
Vendredi, 20 heures
Les premiers invités arrivent. Les félicitations et les tapes dans le dos fusent. Je prépare des cocktails et des petits gâteaux magiques pendant que mon copain explique à qui veut l’entendre les étapes de l’apostasie : «D’abord, il faut envoyer un acte d’apostasie à la paroisse où l’on a été baptisé. Il faut faire signer ce formulaire par deux témoins. Ensuite, j’ai reçu une lettre me demandant les raisons derrière ma décision. J’ai écrit quelques lignes pour dire que mon athéisme était mûrement réfléchi et ma décision sans appel.»
Dominique lui demande si les démarches étaient longues : «Non, au bout d’un mois, j’ai reçu une confirmation écrite qui spécifie que mon acte de baptême mentionne maintenant mon apostasie.»
Vendredi, 22 heures
Après quelques margaritas et compagnie, la retenue s’estompe.
Marc-André, dans le rôle de l’avocat du diable, démarre le bal : «Il me semble que l’apostasie rate sa cible. Signaler à l’Église qu’on est non-croyant revient à lui donner une crédibilité et une importance. Pourquoi ne pas simplement arrêter de pratiquer?» Sophie prend la défense de mon copain : « Au contraire, c’est une façon de faire passer son message : non merci pour les idéologies imposées, je préfère réfléchir par moi-même. » «Tu prêches pour ta paroisse?», lui lance Marc-André parce qu’elle est membre de l’Association humaniste du Québec, qui milite pour la laïcité des institutions publiques.
S’en suit un débat animé, qui dérange mes voisins, je l’espère.
Samedi, 1h30
Tout le monde est bien éméché. La preuve : plusieurs se sont mis en tête d’apostasier. Mon copain propose à la blague de donner une formation d’Apostasie 101 aux personnes intéressées. Au programme : remplissage du formulaire et rédaction d’une lettre de motivation. L’idée trouve preneurs. Une dizaine d’invités se rassemblent à la table.
N’étant pas baptisée, ma participation est limitée ; je peux seulement lire au-dessus des épaules.
Sophie écrit : « Je désire apostasier parce j’estime que la science explique beaucoup mieux l’univers que les mythes religieux. L’Association humaniste a diffusé sur des autobus de Montréal : “Dieu n’existe probablement pas, alors cessez de vous inquiéter et profitez de la vie.” C’est ce que je veux faire.»
Maryse, sa copine, écrit : «Je suis ouvertement lesbienne et n’ai aucune intention de “guérir” de mon orientation, que je vous jugez condamnable. Puisque l’amour en sens unique ne fonctionne pas, je vous fais mes adieux.»
Guillaume écrit : «J’ignore si Dieu existe ou non. Cependant, je sais qu’il est difficile d’être à la fois catholique et progressiste. Le jour où le Vatican cessera de condamner l’avortement, et quand la contraception cessera d’être diabolisée, je réintégrerai peut-être l’Église, mais pas avant.»
Samedi, 3h30
Les policiers, appelés en renfort par les voisins, mettent fin au party. J’escorte les invités : «On se revoit à Pâques ?» Il ne faut jamais rater une occasion de célébrer, surtout pas la fête du chocolat.
Cette histoire fictive s’inspire d’interviews réalisées avec Maxime Nadeau et Amélie Bédard, qui ont tous deux apostasié. Elle s’appuie également sur un entretien avec Michel Virard, le porte-parole de l’Association humaniste du Québec.