Culture

Un mythe (dé) testable

Mamy Germaine décède à 83 ans. L’autopsie révèle une crise cardiaque foudroyante conséquente à la question : «Et qu’aimerais-tu faire plus tard ? », posée à son petit-fils Jean-Jacques, 13 ans. La réponse? Testeur de jeux vidéo! Les 10-17 ans n’ont plus que cet emploi en tête. Quoi de plus idyllique qu’une passion alliant le loisir préféré des jeunes ausalaire recherché des adultes ?

 

Le mythe du joueur salarié a la peau dure, tant chez les ados que chez les adultes. Je partageais d’ailleurs cette vision naïve des choses jusqu’à ce que je croise une affiche d’embauche : Ubisoft Montréal recherche des testeurs. Trois jours de harcèlement téléphonique, un contrat de confidentialité et un questionnaire de connaissances vidéoludiques plus tard, vient enfin mon tour d’entrer au Valhalla. Première étape, la salle d’attente, histoire de nous laisser l’occasion de sortir notre regard le plus assassin (‘s Creed, bien sûr) et montrer nos canines aiguisées à coups de testostérone aux autres candidats. Puis enfin l’immense salle remplie de cubicules où des dizaines d’employés sont affairés derrière ordinateurs et consoles en tous genres. L’ambiance est à la fois détendue et chargée d’électricité (littéralement), selon qu’on se trouve du côté des ubisoftiens ou des candidats.

Mon recruteur, incarnation même du cliché du vétéran de la guerre de Chine (oups, du Viêtnam), me fait le topo de ce qui m’attend et mes illusions s’effondrent aussitôt : «Le testeur de jeu vidéo passe ses journées à chercher des bugs. C’est ce que tu vas faire.» Quoi? Des bugs ? Avant même d’avoir le temps de poser une autre question, je suis assis face à une PlayStation 2, la manette collée aux mains, plongé dans une version on ne peut plus incomplète d’un antique jeu de course automobile, ennuyeux à mourir. Les bugs fusent de partout, la console gèle, les temps de chargement sont abominables, les graphismes ne sont même pas terminés. Je suis complètement dépassé, mon temps est chronométré et je dois vérifier la fréquence de chaque bug en redémarrant la console à chaque fois : horreur, stress et sueurs froides ! Trente minutes plus tard je me retrouve dans la rue, l’entretien d’embauche raté, avec l’impression qu’aurait un enfant en voyant Papa Noël se dépouiller d’un costume délavé et rapiécé pour en extraire sa flasque de rhum. Troublé. Et aux prises avec une pluie torrentielle, ha ha !

Jouer aux jeux vidéo et en commenter la qualité revient bel et bien au critique. Ces postes sont rarissimes et nécessitent une plume acérée en plus d’une connaissance poussée du domaine. Le testeur, lui, cherche des bugs, à longueur de journée. Il joue au jeu avant le public (même avant le critique), mais s’arracher le scalp pendant cinq jours sur le menu d’un jeu à y chercher des fautes d’orthographe (véridique) vaut-il le coup ? Les passionnés hurleront que oui. Mais je peux en témoigner, être testeur est aussi difficile qu’éprouvant et nécessite des qualités techniques poussées (maîtrise parfaite de l’anglais, connaissances informatiques, un poil de marketing, tolérance aux quantités industrielles de caféine et de taurine ingurgitées).

Pour ceux qui voudraient tout de même continuer de rêver, je recommande de se tenir au courant des versions bêta diffusées gratuitement sur les réseaux Playstation Network et Xbox Live. Ces versions incomplètes d’un jeu précèdent de peu sa date de sortie et permettent aux développeurs de vérifier tout ce qui pourrait ne pas s’y passer comme attendu. Des séances de test en studio sont également de plus en plus souvent organisées pour le public. Votre avis y sera donc sollicité. Pour les plus acharnés, Ubisoft et autres studios embauchent régulièrement, mais n’oubliez pas votre parapluie.

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