Un CEPSUM pour tous·tes ?

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Par Alexia Boyer
lundi 26 février 2024
Un CEPSUM pour tous·tes ?
Les 66 972 étudiant·e·s de l’UdeM, incluant Polytechnique Montreal et HEC Montreal, sont tous·tes automatiquement membres du CEPSUM. Photo : Juliette Diallo
Les 66 972 étudiant·e·s de l’UdeM, incluant Polytechnique Montreal et HEC Montreal, sont tous·tes automatiquement membres du CEPSUM. Photo : Juliette Diallo
Bâtiment emblématique du campus de la montagne, le complexe sportif de l’UdeM tente de vivre avec son temps, malgré son âge bien supérieur à celui de la majorité des étudiant·e·s. La récente installation de vestiaires universels témoigne des enjeux d’un bâtiment qui tente, tant bien que mal, de répondre aux besoins contemporains.
« L’objectif, c’est que chacun trouve sa place, soit bien, et vienne faire du sport. »
Manon Simard - Directrice générale du CEPSUM

Juxtaposé au mont Royal, le Centre d’éducation physique et des sports de l’UdeM (CEPSUM) a vu défiler des générations d’étudiant·e·s. Construit en 1965 sous le nom de Stade d’hiver, il a été agrandi en 1976 à l’occasion des Jeux olympiques de Montréal, prenant alors son nom actuel. C’est à cette occasion qu’a notamment été construite la piscine. Devenue vétuste avec le temps, celle-ci vient de subir une réfection complète et a rouvert en novembre dernier après de longs mois de travaux.

Aujourd’hui, l’UdeM compte six fois plus d’étudiant·e·s que dans les années 1970, et les femmes sont devenues majoritaires sur ses bancs. La clientèle du CEPSUM, qui était presque exclusivement masculine à son ouverture, a ainsi connu un double phénomène, à la fois de croissance et de féminisation. L’établissement doit maintenant composer avec des infrastructures vieillissantes pour répondre à de nouveaux besoins et à de nouvelles habitudes.

Le centre sportif a ainsi profité des récents travaux pour répondre à la demande de la Fédération des associations étudiantes du campus de l’Université de Montréal (FAÉCUM) de s’équiper de vestiaires universels.

Situés dans le couloir menant à la piscine, ces derniers sont accessibles sans différentiation de sexe ou de genre, contrairement aux vestiaires traditionnels non mixtes. Les usager·ère·s doivent se changer dans des cabines individuelles, car la nudité est proscrite dans les espaces partagés, y compris dans les douches à aire ouverte.

En plus de vouloir assurer un espace sécuritaire aux minorités sexuelles et de genre, le vestiaire universel a aussi pour vocation de permettre à un·e accompagnateur·rice d’y entrer avec les personnes à sa charge.

Cette configuration facilite ainsi l’accès aux familles dont les enfants ne sont pas du même genre que le parent. Elle évite également aux groupes mixtes d’écoles ou de camps de jour de devoir être répartis et surveillés dans deux vestiaires. S’ajoutent aussi les personnes à mobilité réduite accompagnées d’une personne du sexe opposé dont elles requièrent l’aide.

Objectifs partiellement atteints

Ce type d’installation se répand au Québec depuis plusieurs années. L’Université de Sherbrooke en a ainsi équipé le centre sportif de son campus principal en 2020. Des villes comme Brossard ou Montréal ont aussi profité de la construction ou de la réfection de leurs installations aquatiques pour en installer.

En visitant les nouveaux vestiaires du CEPSUM, Quartier Libre s’est toutefois demandé s’ils répondaient bien à leurs intentions d’inclusion, de flexibilité et de praticité.

S’ils comptent en effet une dizaine de cabines pour se changer, on y trouve seulement deux douches fermées, un nombre jugé insuffisant par tous·tes les usager·ère·s avec lesquel·le·s le journal s’est entretenu.

« Considérant qu’en plus, il y a des gars et des filles mélangés, ce n’est vraiment pas beaucoup pour le nombre de personnes », estime la diplômée de HEC Montréal Ariane Fauteux Duarte. « Je transformerais peut-être des cabines pour les changer en douche », abonde en ce sens l’étudiante au doctorat en santé publique Lily Chéron.

Quant à l’étudiant de deuxième année au baccalauréat en anthropologie Zak Laporte, lui ne comprend pas que des douches à aire ouverte occupent une si grande partie de l’espace, alors que la nudité est pourtant proscrite dans un vestiaire universel.

Selon nos observations, celles-ci ne sont, en effet, que très rarement utilisées alors qu’une file d’attente peut se former devant les douches fermées.

Comme l’explique la directrice générale du CEPSUM, Manon Simard, le complexe sportif fait face à un « déficit de pieds carrés ». Les nouveaux vestiaires universels étaient initialement réservés aux membres du personnel de sexe masculin, comme les enseignants qui ne souhaitaient pas se changer en présence d’étudiants. L’aménagement intérieur a dû être réalisé en composant avec le système électrique et la tuyauterie hérités de la construction du bâtiment en 1976.

Les défis de la cohabitation

Plusieurs membres de la communauté 2SLGBTQIA+ de l’UdeM ont fait part de leur satisfaction quant à l’ouverture de ces vestiaires universels.

« En tant que personne LGBTQ+, j’avais déjà pensé aux problèmes d’inclusion que pouvaient poser les vestiaires genrés, avoue l’étudiante au certificat de traduction 2 Jessica Jean Baptiste. Je suis contente que les personnes qui en ont besoin aient accès [à ce type d’installation]. »

Elle mentionne toutefois qu’« en tant que femme cisgenre, [sa] crainte serait la présence d’hommes cisgenres malveillants. »

Le professeur adjoint à l’École de santé publique de l’UdeM Olivier Ferlatte, directeur du laboratoire Qollab, qui favorise la participation des personnes 2SLGBTQIA+ dans la recherche, confirme que l’absence de vestiaire adapté peut constituer une barrière pour les personnes transgenres et non binaires.

Des recherches démontrent qu’anticiper les discriminations que celles-ci pourraient subir crée autant de stress que les agressions en soi et les pousse ainsi à éviter de fréquenter des lieux.

« Le contexte social et politique actuel, qui connaît une montée de la violence contre les personnes LGBTQ+, augmente le sentiment d’insécurité dans cette communauté », explique le chercheur, dont les travaux portent sur les relations entre la stigmatisation, la violence et la santé de ses membres. Offrir des emplacements où les personnes se changent sans regard extérieur peut donc favoriser le sentiment de sécurité et d’inclusion chez cette population, selon lui.

Mme Simard précise que le CEPSUM dispose de caméras de surveillance à plusieurs endroits, et que du personnel circule très fréquemment dans les vestiaires pour assurer la sécurité des sportifs·ves.Elle ajoute que le complexe sportif dispose de douze petits vestiaires séparés et pouvant accueillir une dizaine de personnes. Ils ont leurs propres douches et toilettes, et sont accessibles sur demande à l’accueil.

Par les publics, pour les publics

Elle-même longtemps nageuse de haut niveau, Mme Simard connaît bien la problématique de la cohabitation des publics au sein d’un même espace sportif. « La réalité de la gestion, c’est de savoir comment j’accommode tout le monde, ajoute-t-elle. L’objectif, c’est que chacun trouve sa place, soit bien, et vienne faire du sport ».

Certaines initiatives pensées pour faciliter la cohabitation n’ont d’ailleurs pas toujours répondu aux attentes de la communauté. La directrice donne l’exemple de l’obligation du port du maillot de bain dans les douches, que la précédente direction du CEPSUM a tenté d’imposer.

Initiée dans le but de préserver la pudeur, cette mesure a été très mal reçue. « On a eu des réactions très, très fortes sur la capacité hygiénique avec un maillot, rapporte-t-elle. Des professeurs sont sortis avec des articles, des études sur l’humidité et les champignons. »

Selon M. Ferlatte, demander directement aux publics concernés ce dont ils ont besoin permet d’» identifier leurs enjeux » le plus efficacement possible.

« Par exemple, la ville de Montréal a fait des consultations assez importantes auprès des communautés trans et non binaires pour la création de vestiaires universels », cite-t-il.

Cette démarche a non seulement eu un impact sur « la configuration [des lieux], mais aussi sur l’éducation [des autres usager·ère·s]. » Le directeur du laboratoire Qollab regrette ainsi que l’Université n’ait pas sollicité l’expertise de son équipe.