Un anglophone rentre dans un bar…

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Par Eric Deguire
mercredi 24 novembre 2010
Un anglophone rentre dans un bar...
Illustratio: Alexandre Paul Samak

L’humour anglophone est-il plus audacieux que l’humour francophone? Le public québécois craint-il les tabous ? Autopsie d’une bonne blague dans les deux solitudes.

«Piteux et pitoyable.» C’est ainsi que le s o c i o l o g u e d e s médias, Jean-Serge Baribeau, décrit l’état actuel de l’humour au Québec. Il affirme que l’humour québécois est devenu simpliste et facile. « Je suis désespéré face à une bonne partie de l’humour québécois, timoré et souvent un peu benêt», dit-il. Il établit un lien direct avec la popularité grandissante des stand-up au Québec. « Cet humour sévit au Québec depuis une vingtaine d’années. Je ne méprise pas forcément ceux qui aiment cet humour, mais il m’ennuie et m’irrite », ajoute-t-il. Pensons par exemple à François Massicotte, dont les blagues ont tendance à beaucoup traiter de bière, de tondeuses et de colonoscopie.Illustration: Alexandre Paul Samak

Jean-Serge Baribeau estime que les humoristes francophones du Québec devraient aborder davantage les interdits. « Le rôle de l’humoriste est de toucher à des tabous de manière brillante », affirme-t-il. Pour illustrer son argument, il relate son expérience comme membre actif du Parti Rhinocéros, de 1966 à 1988. « C’était un humour foncièrement ironique. Nous disions toujours, sur un ton pince-sans-rire, le contraire de ce que nous pensions, explique-t-il. Nous étions plus à droite que la droite la plus extrême, nous étions plus misogynes que le pire des misogynes, nous étions plus homophobes que le plus virulent des homophobes.»

Selon lui, il ne faut pas avoir peur, en tant qu’humoriste, de se mettre à dos une partie du public. Jean- Serge Baribeau estime qu’aujourd’hui la grande majorité des humoristes québécois ne prennent pas assez de risques.

Rire après le référendum

Robert Aird, professeur de l’histoire du comique à l’École nationale de l’humour, fait une lecture bien différente de la situation. «L’humour se porte bien», dit-il. Robert Aird affirme qu’il y a une diversité d’humoristes populaires et moins populaires au Québec, qui ont aussi la chance d’avoir de nombreuses plateformes de diffusion, que ce soient la scène, la télévision, la radio ou le Web. Il reconnaît qu’il y a effectivement beaucoup de médiocrité. Mais il affirme : «On aura toujours de l’humour brillant, original ou engagé avec un Laurent Paquin, un Sylvain Larocque, un Louis- Josée Houde, les Zapartistes, Infoman ou Laflaque.»

Contrairement à Jean-Serge Barideau, Robert Aird croit que l’humour québécois francophone touche suffisamment aux sujets tabous. « Depuis RBO et la série télé Les Bougons, tous les tabous ont été transgressés au Québec », affirme-t-il. Si l’humour québécois francophone évite certains tabous, ce serait plutôt la faute des réseaux télévisés, qui craignent les plaintes du public. Mais, un contenu plus osé peut quand même se transmettre dans les salles, les bars ou le Web. Toutefois, Robert Aird affirme que l’immigration demeure un sujet délicat au Québec.

Seul point où Robert Aird et Jean- Serge Baribeau se mettent d’accord : la question nationale. «Ça demeure une patate chaude. On préfère éviter le sujet, ne serait-ce que pour ne pas s’aliéner une partie du public en semblant prendre position », explique Robert Aird.

Même son de cloche du côté de l’humoriste et satiriste politique anglophone Rick Blue, du duo Bowser and Blue, qui fait de la satire politique depuis plus de trente ans. « L’humour politique chez les Anglo-Québécois est populaire parce que nous sommes presque tous fédéralistes, dit Rick Blue. Chez les francophones, la division est plutôt 50/50. Les humoristes francophones ne veulent pas risquer d’offusquer la moitié de leur public en se moquant d’une option politique ou d’une autre.» Il ajoute que les humoristes anglophones du Québec ont peut-être plus besoin de choquer en raison de la compétition avec les humoristes des États-Unis et du Canada anglais.

En plus de la compétition des humoristes anglophones, l’humoriste anglophone Eman croit que le passage de plusieurs humoristes francophones à l’École nationale de l’humour influe sur leur contenu. «À Montréal, beaucoup d’humoristes francophones passent par l’École nationale de l’humour ; je ne peux imaginer qu’une école va leur apprendre à être plus crus et politiquement incorrects », ditelle.

Humour universel

La situation politique particulière du Québec semble être un facteur déterminant pour expliquer les différences entre l’humour de sa majorité francophone et de sa minorité anglophone. Mais au-delà de cette situation, l’humour varie de culture en culture. Rick Blue et Eman affirment tous les deux que l’humour des Québécois francophones est un humour à tendance beaucoup plus physique, notamment l’humour burlesque et le mime. Sur un ton convaincu, Rick Blue poursuit avec des exemples de différences dans les goûts humoristiques selon les cultures. « Les Américains apprécient un humour colérique. Les Afro- Américains aiment des références sexuelles explicites. Les Juifs aiment des blagues intelligentes avec un sens profond », affirme Rick Blue.

Malgré tout, Robert Aird croit que le rire peut avoir un sens universel. Certes, l’humour peut être influencé par des cultures différentes ou des situations politiques différentes, mais Robert Aird soutient que l’humour n’est pas nécessairement local et propre à une culture. «Il existe des humoristes qui ont su tenir un discours plus universel, Chaplin demeure le meilleur exemple. Au Québec, Sol a très bien fait ailleurs dans la francophonie. » Le succès international de Sol serait dû au fait qu’il a su garder des référents internationaux et universels dans son humour tout en employant des jeux de mots intelligents. Sol aurait-il trouvé la clé ?