Les étudiants auraient intérêt à saisir les tribunaux pour contrer la hausse des frais de scolarité, selon Daniel Turp, professeur à la Faculté de droit de l’UdeM. Le jeudi 15 mars, lors d’une allocution au pavillon Jean-Brillant, M. Turp a affirmé que le gouvernement du Québec violait un engagement international important.
« Ça ferait un beau procès, a-t-il lancé, carré rouge à la boutonnière, devant un auditorium plein à craquer. La hausse des frais de scolarité est clairement en violation du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC). » L’article 13 de ce traité, ratifié en décembre 1966 par le Canada et 34 autres pays, puis entré en vigueur en janvier 1976, mentionne notamment que « l’enseignement supérieur doit être rendu accessible à tous en pleine égalité, en fonction des capacités de chacun, par tous les moyens appropriés et notamment par l’instauration progressive de la gratuité. » Par la suite, le Comité sur les droits économiques, sociaux et culturels de l’ONU a conclu que les États avaient l’obligation d’adopter des mesures concrètes pour atteindre cette gratuité.
bataille en vue
« Cela fait 35 ans que les gouvernements [québécois successifs] ne respectent pas leur engagement », déplore M. Turp, puisqu’aucun plan réel n’a visé la gratuité scolaire. Pour lui, si les frais de scolarité devaient passer de 2168 $ à 3793 $ par année, ils deviendraient encore davantage « un frein à l’exercice du droit à l’éducation ». Il croit donc que les étudiants auraient des recours juridiques pour contester la hausse des frais.
Cela dit, cette entreprise serait un défi, et beaucoup de réflexion est nécessaire pour trouver la meilleure façon de s’y prendre. « Ce n’est pas gagné d’avance, admet-il. Mais on ne gagne pas si on n’essaie pas. » Il avance l’idée d’utiliser l’article 13 du pacte pour interpréter les dispositions de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec qui interdisent la discrimination, notamment en fonction de la condition sociale. « On devrait revendiquer que la gratuité scolaire soit inscrite dans la charte », ajoute-t-il.
Quand on se compare, on se console… ou pas
Le Canada n’est pas le seul pays à violer le droit international par ses frais de scolarité. « Les pays prennent des engagements, puis rentrent chez eux et tendent à oublier qu’ils doivent les exécuter de bonne foi, se désole M. Turp. Il est nécessaire de rappeler que le droit international, ça compte. »
« Il faudrait plutôt suivre l’exemple de ceux qui respectent leurs engagements, suggère-t- il. Le Liban, par exemple, a instauré la gratuité. Et comme l’a rappelé Christian Rioux récemment dans les pages du journal Le Devoir, la quasi-gratuité reste la norme dans les États développés d’Europe. » Selon lui, les étudiants québécois seraient des pionniers en se lançant dans une lutte juridique. « Le monde entier pourrait vous regarder. Et si vous gagnez en première instance, imaginez le tremblement de terre que ça ferait ! »
Martine Desjardins, la présidente de la Fédération des étudiants universitaires du Québec (FEUQ), rappelle que son organisme a déjà intenté une action en justice contre le gouvernement sur la base du PIDESC en 1996, sans autre résultat que de vider les caisses de la Fédération. « Cela demande réflexion pour ne pas refaire les mêmes erreurs, et encore faut-il que les associations membres soient intéressées par cette option, explique-t-elle. C’est aussi un processus très long, alors que nous cherchons le moyen d’empêcher la hausse à la rentrée 2012. Ce serait donc une action à mener en parallèle à la campagne actuelle, quoi qu’il en soit. »
La Coalition large de l’Association pour une solidarité sociale étudiante (CLASSE) n’exclut pas une action en justice, mais elle « ne s’est simplement pas penchée sur la question », a déclaré son porte-parole Gabriel Nadeau- Dubois en entrevue avec La Presse le 17 mars. « Les gouvernements ont généralement plié à la suite de moyens de pression et des perturbations du déroulement normal des choses, mais pas nécessairement à la suite de recours juridiques », a-t-il précisé.
Invité à réagir aux propos de M. Turp, le cabinet de la ministre Beauchamp n’a pas retourné l’appel.
Il y a un mois, M. Turp avait déjà mis le gouvernement fédéral sur la sellette en proposant de contester en justice la décision de retirer le Canada du protocole de Kyoto.