Volume 21

Trouer c’est tromper

Trouer un condom constitue désormais une agression sexuelle selon la Cour suprême du Canada.  Toutes les personnes désirant fonder une famille devront avoir le consentement de leur partenaire sexuel. Pas seulement concernant l’acte, mais aussi par rapport à la contraception. 

Le 7 mars dernier, les juges de la plus haute juridiction du Canada ont confirmé à l’unanimité la décision de la cour d’appel de la Nouvelle-Ecosse. Celle-ci reconnaissant comme une agression sexuelle le fait de trouer intentionnellement un condom sans le consentement de sa partenaire. 

Dans cette affaire la demanderesse a consenti à avoir des rapports sexuels avec le défendeur, son conjoint, en insistant sur le fait qu’ils devaient utiliser un condom afin qu’elle ne tombe pas enceinte. Or, son partenaire a percé le préservatif dans le seul et unique but que sa partenaire tombe enceinte, ce qui s’est concrétisé par la suite.

Consentement vs fraude

Il n’a pas été contesté que la plaignante ait donné son consentement pour avoir des rapports sexuels avec son partenaire tel que convenu (avec port du condom). En revanche la Cour suprême s’est demandé si la manœuvre utilisée par le conjoint, à savoir la dégradation du condom, n’avait pas pour conséquence d’entraîner une absence totale de consentement au rapport sexuel en vertu de l’article 273.1 (1) du code criminel.

Il faut savoir qu’au regard de cet article le consentement réside en l’accord volontaire du plaignant à l’activité sexuelle. Il ne saurait être volontaire lorsque par exemple : l’accord est manifesté par des paroles ou par le comportement d’un tiers; le plaignant est incapable de le formuler ; l’accusé l’incite à l’activité par abus de confiance ou de pouvoir ou si le plaignant manifeste, par ses paroles ou son comportement, l’absence d’accord à l’activité.

La Cour Suprême s’est aussi interrogé pour savoir si la dégradation du condom constituait une fraude en vertu de l’article 265(3)c) c.cr. Cet article précise ce qui ne constitue pas un consentement valide. Notamment, lorsque celui-ci résulte de : l’emploi de la force, menace ou crainte envers le plaignant ou une autre personne ; de la fraude ou de l’exercice de l’autorité par une personne en vue d’obtenir des faveurs.

Des juges divisés juridiquement

Les juges de la Cour Suprême ont répondu unanimement sur la culpabilité du conjoint fautif mais ont été divisé quant au raisonnement juridique permettant de reconnaître cette culpabilité.

Selon la majorité d’entre eux, la plaignante avait donné son consentement à avoir des rapports sexuels dans certaines circonstances, or la détérioration volontaire par son partenaire a constitué une fraude excluant de façon absolue tout consentement à l’acte.

La Cour s’exprime d’ailleurs en ces termes. « Dans les cas où une plaignante a choisi de ne pas devenir enceinte, les tromperies qui l’exposent à un risque accru de grossesse peuvent constituer une privation suffisamment grave pour représenter une fraude viciant le consentement suivant l’article 265(3)c) ». Ainsi, selon la Cour, le comportement fautif du partenaire a modifié les circonstances des rapports sexuels entraînant une fraude excluant toute existence du consentement.

Selon les juges dissidents, la plaignante n’a tout simplement pas donné son consentement aux rapports sexuels non protégés, constituant dès lors également une agression sexuelle. Selon ce raisonnement c’est l’usage du moyen de contraception qui est un élément essentiel à l’acceptation des rapports sexuels. Si cet élément est retiré il n’y a plus consentement et il y a donc agression sexuelle.

Faire la preuve

La différence entre les deux raisonnements tient dans la façon dont la preuve doit être faite. Dans le premier, il doit être prouvé que les agissements du partenaire remplissent les caractéristiques de la fraude. Le consentement sera donc vicié lorsqu’il y a eu mensonge, supercherie ou d’autres moyens malhonnêtes, mais aussi un préjudice corporel (dont une grossesse) ou le risque de préjudice (risque de grossesse). Si ce n’est pas le cas il n’y a pas agression sexuelle.

Dans la seconde optique, il doit être prouvé que le port du condom est essentiel dans l’acceptation à des pratiques sexuelles, excluant donc la nécessité de prouver une quelconque fraude. Il s’agit de se placer du coté de l’existence ou inexistence du consentement dès le départ des pratiques sexuelles.

Cette seconde option est donc plus facile à prouver, car le consentement de la conjointe dépend essentiellement de l’utilisation d’un moyen de contraception, élément porté à la connaissance du partenaire fautif. Si par son témoignage il est établit que le condom était un élément fondamental dans son acception, l’agression sexuelle est reconnue.

Les juges sont donc arrivés au même résultat par des raisonnements juridiques différents, par deux interprétations différentes de la notion « d’accord volontaire à l’activité sexuelle ».

Cette affaire permet de mettre en lumière que la pratique d’activités sexuelles et toutes les circonstances qui l’entoure ne laissent pas de place aux tromperies et aux manœuvres. Elle doit être la résultante de l’acceptation des deux partenaires à la pratique elle-même, mais également à la façon dont elle se déroule, par exemple l’utilisation d’un moyen de contraception, le lieu, le moment ou les gestes.

La cour par cette décision précise davantage ce que peut constituer une agression sexuelle en prenant pour assise le code criminel et interprétant les dispositions qu’il renferme.

Plus de chroniques sur la justice et le web sur le blogue de Christopher Dicecca

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