Culture

Crédit : Guillaume Villeneuve

Troubles mentaux et créativités

En comparant le génome de plus de 80 000 personnes en Islande, des chercheurs anglais du King’s Intitute de Londres ont constaté que le risque génétique de développer une maladie mentale comme la schizophrénie, la bipolarité et la dépression serait plus élevé chez les individus ayant une occupation artistique.

« Ce ne sont pas nécessairement les personnes dites artistiques qui sont les plus touchées, mais souvent les plus intelligentes », nuance la professeure agrégée au Département de psychologie de l’UdeM et chercheure au Centre de Recherche de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal, Tania Lecomte, faisant écho à la maxime attribuée à Aristote : « Il n’y a pas de génie sans un grain de folie ».

L’étudiant au baccalauréat en histoire de l’art et en archivistique Guy Gratton-Sinclair est atteint du syndrome d’Asperger. Il étudie les compositions, l’iconographie, le langage plastique et l’analyse du processus de création. Guy perçoit l’art comme une courroie de transmission, une manière puissante de traduire des émotions. « Il y a plusieurs degrés d’autisme et pour certains la difficulté de communiquer vient de pair avec le haut niveau d’intelligence, ce qui mène à trouver d’autres moyens d’expression, comme l’art », pense-t-il.

Dans la sphère universitaire, Mme Lecomte dit recenser davantage de cas de troubles mentaux chez les étudiants en psychologie. « Ces étudiants, dans leur quête de compréhension de l’autre, cherchent aussi à se comprendre eux-mêmes en choisissant ces études », croit la professeure.

Le paradoxe de l’œuf et de la poule

Mme Lecomte soulève une question : les troubles mentaux porteraient-ils le sujet vers l’art, ou est-ce l’artiste qui serait lui-même prédisposé génétiquement à développer des symptômes, comme l’avancent les chercheurs du King’s College ?

« Je dis tout le temps que ma psychose est la meilleure chose qui me soit arrivée dans ma vie, lance l’étudiante au baccalauréat en psychologie et sociologie à l’UdeM Émilie Beaudry. Je l’ai vécue comme étant un déblocage artistique. J’étais portée vers l’art au fond de moi, je faisais des activités artistiques, mais beaucoup moins intensément que maintenant. » Pour elle, l’art est un moyen de dissimuler son comportement psychotique à travers une activité qui est socialement acceptée.

Diplômée du baccalauréat en littératures de langue française à l’UdeM, et actuellement étudiante au certificat en journalisme, Rose Henriquez, souffre de dépression depuis son plus jeune âge. « Ma passion d’écrire est étroitement liée à ma mélancolie, mon spleen, confie l’étudiante. C’est une façon de faire quelque chose de beau de mon mal. » Sans réels antécédents familiaux, Rose se dit naturellement sensible à tout ce qui l’entoure, au mal des autres. Pour elle, l’écriture est un exutoire.

« L’art est une forme d’expression qui permet de d’apaiser l’individu, explique Mme Lecomte. De mettre en image une autre réalité perçue par les malades. » Selon la chercheure, la majorité des cas de troubles mentaux apparaissent entre 15 et 25 ans. Durant les études ou au cours de la vie active, l’apparition des symptômes entraîne pour 50 % des cas, selon elle, des changements de vie radicaux : le banquier lâche tout pour devenir photographe par exemple.

Le trouble semble donc pousser à l’expression artistique. Paradoxalement, selon une étude suédoise parue en 2012**, la créativité des individus est inhibée lorsque les symptômes de la maladie mentale sont trop accentués.

* Polygenic risk scores for schizophrenia and bipolar disorder predict creativity 2015, King’s College Psychiatric Institute.

** Mental illness, suicide and creativity : 40-year prospective total population study 2012, Kyaga S1, Landén M, Boman M, Hultman CM, Långström N, Lichtenstein P. Department of Medical Epidemiology and Biostatistics, Karolinska Institutet, Stockholm.

 

 

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