« Jusqu’à maintenant, l’économie du partage était un commerce de proximité, explique M. Sormany. On embauchait quelqu’un dont un ami nous avait parlé et ça se faisait de gré à gré, à petite échelle. Maintenant, des plateformes de commerce électronique mettent des fournisseurs de services au noir avec des clients. Ça multiplie le travail au noir et détruit des industries. » L’ancien directeur des émissions d’affaires publiques de Radio-Canada illustre ses propos en prenant pour exemple l’entreprise californienne Uber, qui a « détruit » l’industrie du taxi au Québec, selon lui.
M. Sormany croit que l’État aurait dû intervenir en subventionnant la mise sur pied d’un système qui aurait pu appartenir aux chauffeurs de taxi et leur distribuer les retombées sous forme de programmes sociaux et de fonds de pension, à titre d’exemple. « Au lieu d’aller en Californie, cette marge de profit aurait pu bénéficier directement aux chauffeurs de taxi, observe-t-il. L’État a raté une occasion d’aider un secteur à se moderniser et à se donner des outils coopératifs et collaboratifs. »
Économie de partage, ou partage des économies
Les réseaux de partage ont toujours existé au sein des communautés, selon l’auteur, qui donne l’exemple des agriculteurs qui partagent depuis longtemps leur machinerie de ferme, ou des citadins qui pratiquent le covoiturage. Toutefois, l’arrivée de joueurs comme Uber et AirBnB a changé la donne, et ces plateformes devraient être formellement interdites, selon M. Sormany. « On a laissé entrer des “disrupteurs”, déplore-t-il. Ce sont des entreprises américaines qui viennent changer les règles. Cette rencontre entre l’offre et la demande devrait se faire à travers des coopératives qui soient vraiment des économies de partage. »
Le chargé de cours fait aussi mention du travail au noir, un phénomène sur lequel il a déjà écrit dans la revue Critères, au début des années 1980. « J’avais démontré qu’il y avait là une petite partie de fraude, mais surtout un magnifique mécanisme d’adaptation de la société, développe-t-il. C’est une façon d’offrir des services qui ne seraient pas rentables autrement et de se trouver un revenu. » Il cite l’Italie en exemple, qui s’est, selon lui, très bien sortie de la dernière crise économique grâce à la vigueur et à l’ampleur de son économie au noir.
Revenu de base garanti
Plutôt que de prôner une économie fonctionnant au noir, M. Sormany croit que l’avancement de la société — et de la condition des travailleurs — passerait plutôt par la mise en place d’un revenu de base garanti pour chaque citoyen. Selon lui, cette mesure favoriserait le bénévolat, l’épanouissement personnel et même le bien-être des salariés, qui travailleraient alors pour d’autres raisons que celle d’assurer leur survie et celle de leur famille. « On a les moyens de le faire, lance-t-il. Cette mesure ne coûterait à peu près rien à côté des programmes [sociaux] actuels, et c’est la seule qui garantirait l’éradication de la pauvreté. »
À l’exception de certains étudiants, qui pourraient alors choisir de se concentrer exclusivement sur leurs études, et des parents de jeunes enfants, qui pourraient se consacrer davantage à leur famille, M. Sormany croit que cette mesure ne serait aucunement un désincitatif à travailler. « Le travail n’est pas qu’une source de revenus, précise-t-il. C’est aussi une source de valorisation et de reconnaissance sociale. Pour la grande majorité des gens, si on les sort de la pauvreté, ils vont s’engager d’eux-mêmes dans des entreprises sociales. Avoir un revenu garanti n’empêche pas d’être un citoyen productif et engagé. »
Selon lui, la grande majorité des professeurs d’université continuent de mener des recherches, même après avoir obtenu un poste permanent, alors que rien ne les oblige à les poursuivre. Il y voit donc la démonstration idéale du fait que le travail devient enrichissant en soi lorsqu’il n’est plus question de stricte nécessité.
