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Le directeur du Département d'anthropologie de l'UdeM, Guy Lanoue, souligne qu'une définition plus relative du "terrain dangereux" s'est installée avec le temps. (Photo: Marianne-Sarah Saulnier)

Terrain dangereux et les risques du chercheur

En mai 2016 paraissait dans The Guardian une lettre anonyme d’un étudiant demandant aux universités de protéger davantage les étudiants qui travaillent sur le terrain dans le cadre de leurs études. La lettre avait été envoyée à la suite du meurtre brutal de Giulio Regeni, étudiant au doctorat en sciences politiques à l’Université Cambridge. Les services de sécurité égyptiens du gouvernement d’Abdel Fattah al-Sissi avaient été les premiers soupçonnés de son assassinat, les recherches de l’étudiant portant sur les mouvements de syndicats de travailleurs et ayant donc une portée politique significativement de gauche.

Regeni pratiquait l’observation participante, une méthode de recherche qui implique l’immersion du chercheur dans une autre culture sur une longue période de temps. Selon le journaliste et écrivain Alexandre Stille, cette pratique méthodologique, commune aux sciences sociales, aurait contribué à son enlèvement puisqu’un étranger parlant l’arabe et s’interrogeant sur les mouvements syndicaux peut sembler très suspect pour les autorités. Les circonstances du meurtre de Giulio Regeni démontrent que cette recherche de terrain était vraisemblablement trop risquée. On peut se demander alors quelle est la part de responsabilité des universités quant aux choix des terrains de leurs étudiants chercheurs.

La responsabilité des institutions universitaires

Selon le Comité d’éthique de la recherche (CÉR) du Canada, auquel l’UdeM est associé, la sécurité du chercheur n’est pas prise en compte dans la validation d’un choix de terrain de recherche. Cela dit, comme on peut le lire sur le site Web du comité, selon le niveau de risque pour le chercheur, « […] le CÉR peut envisager de transmettre ces inquiétudes à l’attention d’une instance compétente au sein de l’établissement ». C’est ce que confirme le directeur du Département d’anthropologie de l’UdeM, Guy Lanoue. « En principe, nous n’avons pas le pouvoir de dire non », précise-t-il. Il ajoute cependant que le directeur de recherche s’assure généralement que l’étudiant ne soit pas envoyé dans une zone dangereuse.

D’après M. Lanoue, plusieurs éléments compliquent la difficulté de baliser les terrains des étudiants, un premier facteur concernant le rapport étudiant-directeur, les étudiants étant plus autonomes, explique-t-il. « Aujourd’hui, il y a une culture un peu néolibérale qui souligne les prétendues qualités exceptionnelles de chaque individu et aussi une tendance à se voir comme un agent indépendant », ajoute le professeur.

Pour M. Lanoue, un autre facteur concerne la définition de ce qui est aujourd’hui considéré comme « dangereux » sur le terrain, un terme ayant évolué au fil des années. « Avant, l’étudiant était souvent sans contact avec le monde extérieur, dans un environnement plus isolé autant sur le plan culturel que matériel, souligne-t-il. On avait moins d’appuis, et il fallait être préparé le mieux possible ». Cette préparation impliquait parfois de savoir utiliser des armes, en général plus pour se défendre contre les animaux sauvages que contre les humains.

Finalement, selon lui, un aspect souvent négligé des préparations de terrain concerne les dangers psychologiques tels que l’isolement, une réalité connue de plusieurs chercheurs, mais difficilement quantifiable.

En somme, la responsabilité du risque du terrain est assumée entièrement par l’étudiant, dont les ressources et les financements à sa portée assurent généralement des conditions de recherches sécuritaires. Malheureusement, on observe depuis plusieurs années un désinvestissement majeur en recherche fondamentale au profit de la recherche privée, axée sur la rentabilité. La situation en sciences sociales est donc de plus en plus critique. Devant assumer pleinement le choix du terrain et les conséquences qui peuvent en découler, le chercheur doit désormais prendre conscience qu’il est de plus en plus seul pour mener à bien ses recherches et contribuer aux savoirs fondamentaux.

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