Spleen social

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Par Pascaline David
mardi 15 novembre 2011
Spleen social

 

Tu te réveilles le matin, un jour à la fois, tu te lèves du bon pied, chaque chose en son temps.

Belle journée devant toi, tu l’abordes déjà avec philosophie. Tu penses amour, sexe, humour, art, beauté, ouverture d’esprit, spectaculaire.

C’est la mi-novembre, il fait 16 degrés, voilà qui est réjouissant, même si on sait à quoi est due cette clémence climatique.

Dans les médias, tu apprends que la mini-carotte est un aliment réconfort, que Pauline Marois est encore à la tête du PQ et que les jeunes d’aujourd’hui sont en moyenne 47 fois plus pauvres que leurs parents. Tu constates que la situation des jeunes de 35 ans et moins est jugée alarmante par les économistes, qui prédisent qu’avec une économie mondiale en perte de vitesse, les paumés resteront cassés pour quelque temps encore.

À ta rêveuse de blonde, qui est sans emploi et qui cherche activement un travail en direction artistique, tu dis : « Chérie, soyons folles et héroïques, allons habiter à Athènes ou à Barcelone.»

En Grèce et en Espagne, respectivement 45 % et 38 % des jeunes en bas de 25 ans sont au chômage. Au Canada, c’est 14 %. Chez mes amis proches, c’est environ 70%, mais c’est peut-être par instinct grégaire. Ils commencent d’ailleurs à être drainés de leur fougue, à ne pas arriver à s’imposer professionnellement.

Ta blonde est penchée sur son vieil ordi. Elle ne rit pas. Elle dit : «Oh putain! Mon amie Selma a le cancer du poumon.»

Tu dis : mais c’est pas vrai. Cette nouvelle t’accable, d’autant plus que tu es fumeuse. Ta blonde dit : «Oh putain, elle doit entreprendre un traitement de radiothérapie et de chimiothérapie d’ici trois semaines».

Tu te rappelles : quand Selma est allée passer ses premières radiographies, le technologue lui a demandé si elle s’était fait enlever un rein ou si elle en avait fait don parce qu’il ne le voyait pas. Mais il a fini par le trouver. Erreur de manipulation.

Tu apprends que Selma fumait régulièrement, mais qu’elle avait arrêté depuis quelques mois. Ironie du sort, à 27 ans. Mais son cancer n’est pas lié à la clope.

La bonne nouvelle, c’est que dernièrement, ta blonde s’offusquait de ce que Selma ne retourne pas ses appels.

Ta meilleure amie à toi a des problèmes avec ses ganglions, elle a subi une biopsie et attend des résultats sur son état. Tu te rends compte que la maladie se manifeste un peu trop autour de toi, qui a 26 ans. Il y a quelques années, tu aurais cru que ça ne te toucherait pas avant une autre vingtaine d’années.

Tu descends dans la rue prendre ton vélo, et constates que l’agent de stationnement a encore frappé. 52 $ de contravention sur le pare-brise de ta voiture, stationnée trop près d’un panneau d’arrêt. C’est 5 % de ton salaire mensuel qui y passe. Il faut que tu te débarrasses de ta bagnole. Avoir une voiture en ville ou subir le système de transport en commun montréalais, c’est également déplaisant.

Tu as le cancer en tête et tu as envie de vomir. Un ami renchérit et te dit que son amie à lui a dû se faire amputer les deux seins à cause du cancer. Qu’il y avait du pus dans les plaies.  Qu’une fois guérie, elle s’est fait tatouer des mamelons, parce qu’il paraît que c’est vraiment étrange, un torse sans mamelon.

Tu as envie de prendre un coup, tu hésites parce que tu essaies d’éviter de boire tes émotions. Au bar du coin, la toune Cash Moé, interprétée par Marjo et Daniel Boucher, tourne en boucle : «Donne-moé la couleur vert, donne-moé de la terre, donne-moé du ciel, donne-moé de l’air, donne-moé du cash, de l’amour j’en peux pus, donne-moé des flashs.»

Tu tentes d’écrire un éditorial qui soit drôle, parce que c’est ça, ta philosophie de vie. Toi, dans la vie, tu crois que pour résister, il faut continuer, dans le combat, de rire et de rêver.
Mais vraiment, de ce temps-là, il n’y a rien d’amusant. Tu as l’autodérision dans les talons.

Tu regardes autour de toi. Chômage, maladie et dépression. Enfants prisonniers des garderies, mouvement des indignés, corruption, actions étudiantes massives contre la hausse des droits de scolarité. Le gouvernement du Québec n’a aucune vision en éducation.

Elle est où, ma société du savoir ? Elle est où, ma société des loisirs ?

«Tu devrais parler des indignés, cette génération sacrifiée sur l’autel de l’indifférence par leurs parents qui s’en sont mis plein les poches», commente ta blonde, en te montrant sa version optimisée de tarte aux pommes. «Faut être chômeuse pour faire ce genre de recette», dit-elle. «Tu ne touches plus de chômage», lui rappelles-tu, en ne riant pas.

Même Gaston, le poisson rouge, est en burnout. Il fait la planche.

Dans une dernière tentative de rigoler, tu contactes Jean-Serge Baribeau, sociologue des médias et ancien membre actif du Parti Rhinocéros, pour lui demander ce qu’il pense de ce proverbe québécois: «Si les poules pondaient des haches, elles se fendraient le cul.»

Il te répond: «À une certaine époque, certains scientifiques pensaient à la possibilité de faire pondre des oeufs carrés, supposément plus pratiques. Cela rappelle Harper, ce SQUARE HEAD, devenu premier ministre. En ce qui concerne les poules qui se fendraient le cul, il est certain que Harper et Charest se fendent le cul pour “rationner” la démocratie et la saine gouvernance. Aussi, de nombreux étudiants doivent se fendre le cul pour étudier tout en ne s’endettant pas d’une manière démesurée. Et que dire des moins nantis? Il va donc falloir utiliser la hache de la démocratie pour modifier le système électoral et pour se débarrasser du “charest-gnard” et de la tête carrée.»

Tu ris, un peu jaune.

Tu ne sais pas comment finir ce texte. Tu optes pour une transcendante recommandation, une lueur d’espoir. République, un abécédaire populaire, excellent documentaire réalisé par Hugo Latulippe, vous remontera le moral. En supplémentaire au Cinéma du Parc.