À chaque numéro, Quartier Libre offre la chance à l’un de ses journalistes d’écrire une nouvelle de 500 mots sur un thème imposé. Le thème de ce numéro est: bulle
Je n’en pouvais déjà plus de cet hiver qui ne finit jamais. En regardant par la fenêtre, on ne voyait que l’absence de vie. Il était cinq heures et la nuit commençait déjà à tomber. Les arbres aux branches tordues semblaient eux aussi recroquevillés dans le froid tranchant de janvier. Assis devant mon ordinateur, je fixais la page blanche. Le trait vertical clignotait et ne m’était d’aucune aide. Je m’étais levé tard et avait passé l’après-midi à le contempler, comme si j’espérais l’entendre me déclarer quelque chose. J’étais plongé dans ma bulle, et il était temps que j’en sorte.
Je devais bouger. De toute façon, il me fallait aller à la recherche de quelque chose à me mettre sous la dent et mon garde-manger avait aussi faim que moi. J’enfilai donc mon manteau et, d’un pas décidé, je sortis de chez moi. La rue Masson semblait endormie. Une faible lumière jaillissait des quelques cafés et restaurants ouverts. Les autres commerces, quant à eux, avaient déjà fermé boutique.
À l’épicerie, rien sur les étagères ne semblait intéressant. Les fruits et légumes parvenus du bout du monde n’avaient aucun intérêt et semblaient fades. Champagne et huîtres ? Sûrement pas, même si mon budget me l’avait permis, je n’en trouverais pas ici. Et puis seul, c’est un peu déprimant. À quoi bon les bulles lorsque l’on n’est pas à deux ? Après avoir erré quelques minutes, je me suis rabattu sur un paquet de pâtes et un pot de sauce tomate. La caissière, aussi joviale qu’à l’habitude, n’esquissa aucun sourire.
Je n’osais pas sortir. Le souvenir du froid et du vent glacé me rebutait. Une silhouette familière apparut. Un bref regard, fuyant et moqueur. Puis, tu disparus. Je devais te rattraper. Je savais que tu m’avais vu, mais tu jouais souvent à ces petits jeux. Je me lançai donc à ta recherche.
La neige avait commencé à tomber et le vent réduisait ma vue, mais il me fallut peu de temps pour te retrouver. C’était instinctif. Tes longs cheveux ondulaient à chacun de tes bonds. De gros flocons s’y collaient et t’entouraient d’un halo. Tu irradiais sous les lampadaires. Tu voltigeais dans la nuit comme le tison d’un feu de camp, tu scintillais. Tu gambadais dans la nuit montréalaise comme si elle était ta demeure.
Bien entendu, tu nous avais ramenés jusque chez nous, j’étais si content de ne pas être seul ce soir encore. Tu étais enfin revenue. Tu grimpais quatre à quatre les marches qui menaient à l’appartement. Je te laissais un peu d’avance. J’attendrai au bas de l’escalier que tu aies fini de tout manigancer. Sans toi, les journées se termineraient bien tristement.
Au bout de quelques minutes, j’escaladai jusqu’à la porte. Tu n’avais pas verrouillé derrière toi. À peine entré, je sentais une odeur sucrée et enivrante, puis j’entendais le son de l’eau. Je décidai de ne pas allumer de lumières. Je me rapprochai silencieusement de toi. Je ne percevais dans la noirceur que la lueur scintillante des chandelles que tu avais allumées. Je glissai ma tête dans l’embrasure de la porte. Tu étais radieuse dans ce bain rempli de bulles.