Entre tradition et modernité

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Par Aurélia Crémoux
mercredi 13 mars 2024
Entre tradition et modernité
La sororité Nu Delta Mu est devenue la première sororité francophone et féministe sous le mandat de l’ancienne coprésidente Océane Corbin. Photo | Courtoisie | Luna Crugnola
La sororité Nu Delta Mu est devenue la première sororité francophone et féministe sous le mandat de l’ancienne coprésidente Océane Corbin. Photo | Courtoisie | Luna Crugnola
Si les deux sororités et la fraternité de l’UdeM sont issues d’une ancienne tradition an-glo-saxonne, elles s’adaptent à l’air du temps. Ces trois organisations francophones souhaitent d’ailleurs se défaire des clichés qui leur collent à la peau.

« Je sais que c’est un stéréotype qui nous pourchasse dans la communauté grecque*, mais à l’UdeM, la politique est extrêmement stricte sur le harcèlement et le bizutage, assure la coprésidente de la sororité Nu Delta Mu Apolline Labeta. En plus, ce n’est pas dans nos valeurs. » Changer la réputation des organisations du « monde greek » est aussi l’une des missions que se donne le coprésident de la fraternité Sigma Thêta Pi Rayan Amara. « Par rapport à l’image des fraternités américaines, qui ont parfois des rituels très discutables, nous sommes contre tout ce qui est bizutage », affirme l’étudiant de troisième année en génie logiciel à Polytechnique. Il ajoute que les personnes qui remettraient en cause l’intégrité physique et morale des membres seraient punies fermement.

Pour maintenir l’entente entre leurs membres, les trois organisations ont d’ailleurs nommé des médiateur·rice·s. « On a un système de défense, un corps régulateur dans la fraternité, qui permet de faire une médiation pour pallier tous les conflits, que ce soit à l’interne ou à l’externe », explique Rayan. Par voie de courriel, la porte-parole de l’UdeM, Geneviève O’Meara, confirme d’ailleurs qu’il n’y a « jamais eu d’enjeux » quant aux trois regroupements.

Fondées à Montréal entre 2008 et 2011, les organisations ont depuis adopté des politiques pour reconnaître la diversité de genre et sexuelle. « On a eu la réflexion depuis plusieurs sessions et ça s’est concrétisé cette année: on accepte désormais toutes les personnes qui [s’identifient] comme femmes », précise l’étudiante à la maîtrise en droit des affaires Apolline Labeta.

Elle souligne que la sororité Nu Delta Mu est la première sororité francophone et féministe, ce qui est extrêmement rare, selon elle. « L’un de nos objectifs est de [contribuer à renforcer la] place de la femme dans la société et de donner aux femmes un espace pour discuter des problèmes qu’elles y rencontrent », poursuit-elle.

L’étudiante à la maîtrise en criminologie et coprésidente de la sororité Zeta Lambda Zeta Elisa Riaud confirme également que n’importe quelle personne s’identifiant comme femme peut intégrer le regroupement.

La fraternité Sigma Thêta Pi dispose elle aussi d’une politique similaire, acceptant dans ses rangs toute personne qui s’identifie comme homme. « Beaucoup de nos membres ont des orientations sexuelles différentes, on trouve important que les gens viennent d’horizons différents », ajoute Rayan.

La francophonie

« Pour entrer dans la sororité, les filles doivent savoir parler français, prévient Apolline. On avertit nos membres que l’anglophonie a une part importante, mais qu’entre nous, on parlera français. »

Elisa précise que la francophonie est même l’un des piliers de l’organisation Zeta Lambda Zeta. « Beaucoup de filles ont le français comme deuxième langue, mais tant qu’on arrive à communiquer, il n’y a pas de souci avec ça », rassure-t-elle.

Ce qui détermine si une organisation est francophone ou anglophone est la langue de l’établissement ou de la ville où le premier chapitre (Apha) de l’organisation voit le jour.

La fraternité Sigma Thêta Pi et la sororité Zeta Lambda Zeta ont été fondées en France. Quant à Nu Delta Mu, Montréal est son lieu de naissance. Les fondateur·trice·s ont décidé d’en faire des regroupements pleinement francophones.

Rayan estime d’ailleurs que l’héritage francophone de la fraternité favorise un environnement respectueux. « Puisqu’on est une fraternité francophone, on est très bienveillant, on a plus de chaleur et de proximité entre nous, qui sont notamment issues de la culture française », souligne-t-il. La fraternité déploie même une table de bière-pong lors de ses activités de recrutement, invitant les membres potentiels à s’exercer. Les deux sororités et la fraternité collaborent aussi régulièrement pour la tenue d’évènements.

Plus que de simples amis, c’est une relation de bromance que la fraternité travaille à maintenir entre les membres. « On est venu ici avec l’objectif de trouver une famille, des frères », confie Rayan. Le Français d’origine tunisienne indique ironiquement que l’organisation est « la tour de Babel ». Représentations française, tahitienne, haïtienne, maghrébine ou québécoise: la diversité est une marque de fierté pour le coprésident.

Elisa abonde dans ce sens. « L’internationalité est l’une de nos valeurs, affirme-t-elle. La sororité est un melting pot de la francophonie, des confessions religieuses, des styles vestimentaires, d’ethnies. » En plus d’être une deuxième famille pour ses membres parfois arrivées seules de l’étranger, la sororité apporte du soutien à ces dernières, grâce aux compétences complémentaires des personnes qui la composent. « On s’aide dans les papiers d’immigration ou pour les problèmes avec la régie du logement, par exemple », illustre Apolline.

Des valeurs ancrées

La participation à des activités de bénévolat est obligatoire pour les membres actifs·ves des trois organisations. « On a une responsable philanthropie qui cherche du bénévolat pour les filles et elle poste les propositions sur notre groupe », explique Elisa.

La situation est identique pour la sororité Nu Delta Mu, dont l’une des causes officielles est la Maison Simonne Monet-Chartrand, qui vient en aide aux femmes victimes de violences. « On avait aussi participé en 2019, à l’UdeM, à des conférences sur les violences obstétricales et les violences gynécologiques faites aux femmes », ajoute Apolline.

Le coprésident de la fraternité Sigma Thêta Pi explique pour sa part que les membres de celle-ci s’impliquent aussi sur le plan philanthropique, y compris auprès des causes en lien avec la santé mentale des hommes. Toutefois, si l’organisation s’implique socialement, Rayan maintient qu’« être apolitique, pour que toutes les personnes se sentent bienvenues, et pour garder [sa] réputation » est important.

L’excellence universitaire, mais aussi sportive, fait partie des piliers des organisations. Rayan maintient que bien qu’elle soit visée, le regroupement ne se veut pas « élitiste ».

« Ça consiste à se dépasser personnellement », explique-t-il, ajoutant que les membres doivent se comporter en « gentlemen » et considérer autrui avec décence, politesse et équité.

La coprésidente de la sororité Zeta Lambda Teta Dalel Allagui précise que même si l’excellence est l’une des valeurs de l’organisation, « il n’y a pas vraiment de critères requis de note pour rejoindre la sororité. »

Au-delà des amitiés, les membres de ces regroupements développent un réseau et acquièrent une expérience de vie. « Le réseau socioprofessionnel de la fraternité est assez étendu, affirme Rayan. Il y a de l’aide de la part des alumnis, pour s’insérer sur le marché du travail par exemple. »

Pour Elisa, le fait d’avoir la responsabilité de la sororité est une plus-value dans ses compétences. « Savoir s’entendre et travailler avec vingt-sept personnes est un vrai plus pour la vie professionnelle », révèle-t-elle.

Apolline est présentement en pleine course aux stages et elle a décidé de mentionner dans son CV qu’elle était présidente d’une sororité. « Tous les recruteurs m’ont posé la question de savoir ce que c’était, ce que je faisais », précise-t-elle.

Arrivée de Belgique en 2019, l’ancienne membre de Nu Delta Mu Océane Corbin assure quant à elle que c’est son expérience dans la sororité qui l’a aidée à trouver sa voie professionnelle. Après son passage au sein de celle-ci, elle a décidé de poursuivre une concentration en études féministes, dans le cadre de sa maîtrise en communication à l’UQAM.

Le déclic: avant de devenir coprésidente, elle était responsable aux communications de l’organisation et gérait un site Web ainsi que des médias sociaux. « Ma vie ne serait pas la même si je n’avais pas été dans la sororité », confie-t-elle. C’est d’ailleurs durant sa présidence que Nu Delta Mu est officiellement devenue féministe.

* Les fraternités et sororités utilisent des lettres grecques pour se désigner. Ces organisations sont aussi dites du « monde grec ».