Volume 22

« La possibilité de réorientation est un phénomène assez sain, car cela évite certaines frustrations qu’éprouverait l’étudiant s’il se rendait compte qu’il ne peut pas revenir en arrière. », selon le professeur au Département de sociologie Stéphane Moulin.

Génération girouette

Dans ses recherches, le professeur au Dépar­te­ment de sociologie Stéphane Moulin s’intéresse à la transition des jeunes adultes vers le marché du travail. « On peut distinguer trois grands types de personnes ­susceptibles de se réorienter : les indécis, qui ont toujours eu une indécision au sujet de leur vocation, ceux qui se réorientent de manière stratégique, en changeant de domaine pour un secteur plus lucratif, et enfin les bifurquants, souvent plus âgés, qui avaient une aspiration nette et qui décident, après une phase de doute, de choisir un domaine qui n’a rien à voir avec le premier », explique-t-il.

L’environnement social, parents en tête, serait l’un des facteurs décisifs dans l’orientation initiale.« Dans le choix de carrière, il y a le côté passion et le côté sécurité, juge ­l’étudiant au baccalauréat en informatique Louis Cuni. Il y a la pression des parents, donc on ne choisit pas forcément ce qui nous plaît. »

Malgré une forte influence familiale lors de l’orientation initiale, les parents seraient cependant un facteur moins décisif dans le parcours ultérieur de l’étudiant, selon M. Moulin. « Le travail de l’une des élèves que j’ai dirigée à la maîtrise, Alix Lefebvre-Dugré, a révélé deux types de bifurquants qui se réorientent : le premier type se réorienterait vers un programme d’étude qui correspond mieux à ses valeurs, et le deuxième vers un domaine pour lequel il a toujours eu un intérêt, sans avoir osé l’explorer davantage auparavant », dit-il.

Pour le sociologue, l’étudiant ferait donc preuve de plus d’autonomie dans le choix d’une réorientation, car il s’agirait d’une décision plus mûrement réfléchie, en accord avec ses goûts et objectifs personnels après une première expérience.

« Si l’étudiant ne sait pas trop ce qu’il veut faire et que les parents suggèrent un choix de carrière, il peut être tenté de le faire par défaut, explique la coordonnatrice des services orientation et information scolaire et professionnel au centre étudiant de soutien à la réussite (CÉSAR) de l’UdeM, France Dodier. Mais si l’étudiant prend conscience de ce qu’il veut personnellement, il lui est possible d’étayer son projet professionnel pour que ses parents soient des alliés. En général, les parents sont les premiers à être contents quand un étudiant a trouvé sa voie ! »

Identité en chantier

Cependant, d’autres éléments entreraient parfois en jeu dans la réalisation ou non des ambitions des jeunes adultes. Celles de Louis ont par exemple été compromises par des contraintes administratives à la sortie du secondaire. « Je me voyais en école d’art, explique-t-il. Pour rentrer, il fallait avoir 18 ans et j’étais encore mineur, donc je n’ai pas vraiment eu le choix. Les sciences m’intéressaient, alors je suis allé en mathématiques et j’y ai découvert l’informatique. Pour l’instant, ça me plaît, mais dès que j’ai mon diplôme, je retourne en art. »

Avec son équipe, France Dodier aide les étudiants à choisir une voie universitaire qui correspond à leur profil, aussi varié et singulier soit-il. « La réorientation se produit à des périodes charnières de la vie d’un étudiant, assure-t-elle . À 15 ans, il est normal de ne pas savoir exactement ce que l’on veut faire. Plus tard, il y a davantage de facteurs liés à la réalité du marché du travail ou des résultats scolaires qui entrent en compte dans le choix de carrière. »

Réorientation plus facile

Selon M. Moulin, la reprise d’études après des études supérieures antérieures peut également être synonyme de réorientation. « Les retours aux études sont très fréquents au Canada, explique-t-il. Si l’on prend uniquement les personnes diplômées de l’université depuis un an, environ 10 % reviennent aux études dans les trois années suivantes, comparé à 0,5 % en France, par exemple. »

Selon le sociologue, une plus grande flexibilité du système éducatif canadien favorise ces reprises d’études plus tardives. « Le fait de pouvoir cumuler deux disciplines distinctes au sein d’un baccalauréat est une bonne chose, et la possibilité de réorientation est un phénomène assez sain, car cela évite certaines frustrations qu’éprouverait l’étudiant s’il se rendait compte qu’il ne peut pas revenir en arrière », affirme-t-il.

Pour l’étudiant au doctorat en sciences politiques Valentin Lara, le diplôme d’aujourd’hui ne correspond pas nécessairement à une carrière unique dans laquelle nous sommes contraints d’évoluer toute notre vie. « Le diplôme n’est plus forcément synonyme d’emploi, juge-t-il. Je pense qu’avoir une formation multidisciplinaire est un atout dans le monde d’aujourd’hui, car cela témoigne d’une capacité d’adaptation. » Selon lui, plutôt qu’être un simple symptôme d’indécision, la réorientation des jeunes adultes témoigne davantage d’une volonté d’adéquation avec le monde d’aujourd’hui.

*Enquête longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes (ELNEJ)

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