Qualifié par son auteur de « pierre de rosette » pour décrypter la réalité du soccer universitaire, l’ouvrage Chaque match a une histoire : 25 entraîneurs québécois livrent leurs confidences et leurs souvenirs retrace les parcours et les visions d’entraîneurs universitaires dans la province. Après avoir travaillé un an et demi sur ce projet, l’analyste et commentateur sportif Freddy Amegavie nous livre les clés de la réussite du ballon rond dans la Belle Province.
Propos recueillis par Romeo Mocafico
Quartier Libre : Quelle est la particularité du soccer au niveau universitaire ?
Freddie Amegavie : La grande différence entre le foot civil et le foot universitaire, c’est que dans le deuxième cas, on parle d’étudiants athlètes. Les coachs expliquent que ce n’est pas juste coacher sur le terrain. Au-delà du fait de devoir travailler pour avoir de bonnes notes, les étudiants doivent cohabiter ensemble pendant plusieurs années. On a comme des sortes de « micro-entreprises » qui se créent. Pour les coachs,c’est du management de devoir former une équipe et créer une identité, pour au final terminer avec des hommes et des femmes prêts à rentrer dans la vie active.
Il y a une autre réalité, propre à la région cette fois : au Canada, à l’automne, le soccer universitaire, comme beaucoup d’autres sports, se déroule sur trois mois. C’est très intense. Le coach a peu de temps pour mettre en place sa saison. Si le joueur est perdu, n’est pas prêt physiquement ou moralement à répondre aux exigences de l’équipe, c’est déjà trop tard. Avec ce livre, il sait ce qui l’attend. Il peut le lire pour voir comment ça se passe précisément dans chaque équipe.
Q.L. : Chaque match a son histoire et chaque équipe est unique, mais quels points communs peut-on retrouver entre toutes les formations ?
F.A. : Une chose que j’ai pu remarquer, c’est que chaque entraîneur s’inscrit sur la durée, parce qu’il a aussi des objectifs académiques. Il cherche des gens qui sont là pour quatre ou cinq ans afin de devenir des êtres humains accomplis en société. Pour les entraîneurs, ce sont des étudiants-athlètes et pas des athlètes-étudiants. Ils mettent un point d’honneur à sélectionner des gens sérieux qui sont là pour étudier. Pour le reste, sur le terrain, advienne que pourra.
Aussi, chaque coach à une histoire très personnelle avec le soccer et ses propres inspirations. À travers le livre, chacun d’entre eux t’explique comment le soccer est venu à lui, et comment son vécu ainsi que ses relations sur ce circuit universitaire influencent ses décisions. Mises bout à bout, ces histoires te font remarquer qu’il y a un fil conducteur. Ces interrelations, couplées au vécu des entraîneurs, créent cette richesse-là.
Q.L. : Le soccer est de plus en plus populaire depuis quelques années au Canada et au Québec. Comment peut-on l’expliquer ?
F.A.: La culture foot se construit petit à petit. On a d’abord eu l’aspect immigration, qui joue depuis assez longtemps sur l’engouement du soccer au Québec. Puis on a eu l’arrivée de chaînes de télévision, avec la diffusion de championnats étrangers. Par exemple, RDS, il y a une quinzaine d’années, pouvait te montrer quelques têtes d’affiche du championnat anglais. Depuis, tu as eu l’essor du streaming sur internet, l’IPTV et un accès à beaucoup plus de chaînes, avec la diffusion des championnats mexicains, latinos, etc. Avant ça, tu pouvais juste suivre le FC Montréal, mais s’il se faisait éliminer avant les séries, la saison était terminée, et toi, tu embarquais sur le hockey et les sports d’hiver.
Les gens ont commencé à s’ouvrir à la culture soccer. Ça a voulu dire plus de monde qui a regardé, plus de monde qui s’en est inspiré, plus de monde qui a eu envie de jouer. On a construit des dômes, qui facilitaient les entraînements à longueur d’année. Les fédérations se sont organisées et ont harmonisé leur façon de travailler. On a eu la coupe du monde junior U20 en 2007 au Canada, avec des joueurs stars comme Agüero, et la coupe du monde féminine en 2015 également. On a eu des matchs, des maillots qui se vendent, des jeux vidéo.
Q.L. : Comment a évolué le statut d’entraîneur au fil de cet essor ?
F.A.: Au départ, on avait beaucoup de parents-coachs, qui, pour la plupart, n’avaient jamais joué au soccer. Depuis, on a des techniciens d’Europe, d’Afrique, d’Asie, d’Amérique qui ont débarqué et qui changent la façon de jouer. Chacun développe et apporte sa philosophie, comme Pat Raimondo [entraîneur-chef des Carabins de l’UdeM depuis 2001, NDLR], qui est d’origine italienne.
Tous voient le soccer comme un développement à long terme. J’ai retenu une phrase de Philippe Eullaffroy [ex-joueur et ex-entraîneur à l’Académie du FC Montréal] qui expliquait qu’environ 7 % des personnes qui sont fort jeunes pourraient accéder au haut niveau, et vite. Ça prouve l’engouement autour de jeunes passionnés, et avec les différentes académies, comme celle du FC Montréal, il y a eu plus de formations et de structures mises en place. Les gens se sont mis à y croire un tout petit peu plus, à travailler dans les académies, dans les recrutements. Les résultats ont suivi. La preuve, on exporte des Alphonso Davies et des Jonathan David.
Q.L. : Comment peut-on considérer l’avenir du soccer dans le pays ?
F.A.: Toutes ces manifestations culturelles ont stimulé de plus en plus de monde à la pratique du soccer. Depuis, le nombre de licenciés augmente.
On a l’horizon 2026 en ligne de mire, avec des fédérations qui réforment afin de dire aux clubs comment fonctionner. Là, on se rapproche de plus en plus d’un système organisé, du petit club jusqu’au monde professionnel. L’objectif, c’est de bien figurer à la Coupe du Monde qu’on coorganise [Canada, États-Unis, Mexique, NDLR] dans cinq ans.